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saison 2022/2023

CROISEMENTS 1

THÉÂTRE | DÈS 15 ANS

Premier Amour

Mise en scène Jean-Michel Meyer
Le K Samka

Samedi 26 novembre
20h | Durée 1h20

Le Drakkar
Tarif A

Il y a d’abord cette voix, charnue, voyageuse. Puis émerge du noir une forme qui se fait corps à laquelle on reste arrimée jusqu’à la fin.
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Un homme, seul, raconte son premier amour. On est ici chez Beckett, pas de romantisme, pas de lyrisme, pas de sentiments non plus, mais une profonde solitude teintée de misanthropie. L’étrangeté de cet homme, rejeté par les siens, inadapté à toute vie sociale et inapte à toute vie à deux, s’exprime à travers l’extraordinaire langue de Beckett, qui joue avec les mots, le phrasé et la syntaxe. Avec pour seul décor le plateau du Drakkar, pour seuls accessoires un chapeau et une vieille chaise de bureau pivotante et grinçante, Jean-Quentin Châtelain, en adoptant une diction très particulière, proche de la scansion poétique, nous oblige sans agressivité à ouvrir les oreilles et le coeur et nous donne à entendre toutes les facettes de cette nouvelle singulière, non dénuée d’humour.

De Samuel Beckett. Texte publié aux Editions de minuit. Mise en scène Jean-Michel Meyer. Avec Jean-Quentin Châtelain. Lumière Thierry Capéran.

© Photo : Christophe Raynaud de Lage

Production : Le K Samka. Coprod : Théâtre Sénart – SN – Lieusaint. Le spectacle a été initialement crée au Théâtre de Vidy-Lausanne en 1999.

Site de la compagnie

Premier Amour, note d’intention

Composé juste après la guerre, Premier amour ne sera publié qu'en 1970. Séduits par l'écriture jubilatoire et l'humour de cette adresse au lecteur, Jean-Quentin Châtelain et Jean-Michel Meyer créent le spectacle pour la première fois en 1999. Paris 2022 : le comédien et le metteur en scène retrouvent… Premier amour. Premier amour est l'un des premiers textes de Beckett écrit directement en français. L'auteur y joue de différents registres de la langue, s'amuse de son étrangeté. Ce n'est pas une pièce de théâtre, mais une nouvelle à la première personne, « où l'auteur joue librement de sa propre biographie ». (Le lieu de deux rencontres. Celle du narrateur avec une femme rencontrée sur un banc, alors qu'il erre sans domicile, après la mort de son père. Celle aussi, également amoureuse, que fait Beckett avec une langue dans laquelle il écrira la plus grande partie de son oeuvre.) "Pas de musique, pas de décor, pas de gesticulation", avait exigé, au moment de la création, Jérôme Lindon, directeur des Éditions de Minuit et exécuteur testamentaire de Samuel Beckett. Une sobriété qui convient au metteur en scène et au comédien. Seuls accessoires du spectacle: une antique chaise de bureau qui , en pivotant, sonne comme un violoncelle et un vieux chapeau.

Jean-Michel Meyer

Premier Amour, Vingt ans après

Beckett écrit Premier amour en 1945. Il a alors trente-neuf ans et a passé en France, dans le Vaucluse notamment, les années de guerre. Avant cela, il avait écrit en anglais, quelques essais et deux romans : Watt , refusé par plusieurs éditeurs et Murphy, qui n'avait pas connu grand succès. Premier amour est après L'expulsé, nouvelle composée quelques semaines plus tôt, le premier texte de Beckett écrit directement en français. Cela ne cessera plus, comme si le recours au français libérait son écriture. L'auteur joue de différents registres de la langue, s'amuse de ses tournures, de son étrangeté. La période sera prolifique. Dans la foulée de ses premières nouvelles, Beckett composera notamment Mercier et Camier qui préfigure, sous forme de roman, En attendant Godot. Suivront notamment Molloy, Malone meurt, toujours écrits en français. Puis le théâtre, qui le rendra célèbre avec En attendant Godot, en 1952.

Premier amour est donc le lieu de deux rencontres initiatiques. Rencontre du narrateur avec une femme, sur un banc, alors qu'il erre sans domicile, après la mort de son père. Rencontre également amoureuse de l'auteur, avec une langue dans laquelle il écrira la plus grande partie de son oeuvre. Nouvelle à la première personne, Premier amour ne sera publié qu'en 1970. Le caractère autobiographique du texte explique ce délai. Le narrateur de Premier amour- et à travers lui l'auteurprécise pourtant bien: "J'ai toujours parlé, je parlerai toujours de choses qui n'ont jamais existé ou qui ont existé, si vous voulez, et qui existeront probablement toujours, mais pas de l'existence que je leur prête ».

Nous avions, Jean-Quentin Châtelain et moi-même, créé Premier Amour pour la radio. Puis nous l'avons porté au théâtre, à l'invitation de René Gonzales, alors directeur du Théâtre de Vidy- Lausanne. Pas de musique, pas de décor, pas de gesticulation, m'avait spécifié Jérôme Lindon, alors directeur des Editions de Minuit et exécuteur testamentaire de Samuel Beckett. J'avais négocié avec lui pour obtenir l'autorisation que le texte ne soit pas simplement lu, mais dit. Quant à la sobriété imposée, elles nous convenait. Une vieille chaise de bureau qui, en pivotant, pleurait comme un violoncelle et le chapeau de mon oncle étaient nos seuls accessoires. Ils faisaient fonction de musique et de décor et ont voyagé un peu partout à travers l'Europe. Ils reprennent aujourd'hui du service. Vingt ans après.

Jean-Michel Meyer

Samuel Beckett
Publié le 2 janvier 2017 par Yann Le Texier Né à Foxrock (Irlande) le 13/04/1906 ; Mort à Paris (France) le 22/12/1989. Samuel Beckett est un romancier, poète et dramaturge irlandais. Beckett est né le 13 avril 1906 dans la banlieue de Dublin, en Irlande. Il vient d'une famille bourgeoise protestante. En 1923, il étudie les langues au Trinity College de Dublin. Il est nommé lecteur d'anglais à l'ENS de Paris, en 1928. A cette époque, il rencontre l'écrivain James Joyce avec qui il se liera d'amitié. Influencé par ce dernier, il écrit son premier essai en 1929, "Dante... Bruno. Vico... Joyce". Les années suivantes, il publie de nombreux textes courts, dont un essai en anglais, "Proust", en 1931. Samuel Beckett voyage beaucoup en Europe. En 1938, il se fixe définitivement à Paris, dans le 15e arrondissement. Il publie avec difficulté son premier roman, "Murphy". Après 36 refus, "Murphy" est publié chez Bordas en 1947. Il reste en France durant la guerre par choix et participe à la résistance contre l'occupation allemande. Le 30 mars 1945, on lui décerne la croix de guerre avec étoile d'or. Ses écrits seront influencés par les récits de déportation. A la fin des années 1940, il écrit la trilogie, "Molloy", "Malone Meurt" et "L'Innommable" ainsi que sa fameuse pièce de théâtre absurde, "En attendant Godot". Entre 1945 et 1950, Samuel Beckett se consacre entièrement à son activité d'écriture. Son oeuvre bilingue tend à l'abstraction en littérature. En 1960, il épouse sa compagne Suzanne Deschevaux-Dumesnil. En 1969, l'écrivain solitaire reçoit le prix Nobel de littérature. Samuel Beckett, qui a toujours refusé les interviews et fui les journalistes, n'ira pas chercher son prix. A la fin de sa vie, son écriture s'épure encore plus. Il n'aura de cesse de creuser le langage avec des textes comme "Soubresauts et Cap au pire". Il meurt dans une maison de retraite à Paris, le 22 décembre 1989.

Jean-Michel Meyer – Metteur en scène
Né à Genève en 1952, Jean-Michel Meyer suit des études de lettres et d'art dramatique, devient critique de théâtre au « Journal de Genève », puis journaliste à la Radio Suisse Romande. Acteur, il découvre Beckett en interprétant le rôle de Lucky, dans En attendant Godot, puis celui de Clov, dans Fin de partiemis en scène par Marcel Robert. En 1996, il abandonne le journalisme culturel, pour s'occuper de mise en onde à la Radio Suisse Romande jusqu'en 2015. De ses nombreuses expériences radiophoniques naîtront quelquefois des spectacles de théâtre. Ainsi Premier amour, de Beckett, Abel et Bela, de Robert Pinget (traducteur et ami de Beckett) , avec Serge Merlin et Roger Jendly ou Les contes paysans, de Maupassant, avec Gérard Guillaumat. Née de l'expérience radiophonique, la forme est à chaque fois dépouillée, centrée sur le texte et l'acteur. Son compagnonnage avec Jean-Quentin Châtelain, avec qui il réalisera de nombreuses lectures spectacles et mise en onde radiophoniques, nourrira son travail et sa réflexion sur l'interprétation.

Jean-Quentin Châtelain – Comédien
Anne-Sylvie Sprenger, L’Hebdo, 28 juillet 2005
JEAN-QUENTIN CHÂTELAIN, NOMADE ENTRE CIEL ET TERRE
Il est des expériences que l’on n’oublie pas, qui s’ancrent dans les veines et nous conditionnent pour le reste de notre vie. Jean-Quentin Châtelain, une des plus imposantes figures du théâtre romand, a gardé de sa petite enfance sur les routes le goût du voyage. Pionniers du nouveau nomadisme, son père et sa mère ont sillonné l’Europe pendant plus de 10 ans à bord d’un camion aménagé en camping-car. Artistes et passionnés, ils entreprirent de visiter tous les musées de France, d’Espagne et d’Italie, s’arrêtant plusieurs mois dans une ville avant de reprendre la route. «Je suis né en voyage et j’ai arrêté le voyage à 3 ans. Je me souviens que je dormais sur la caisse à outils», glisse-t-il avec émotion. Depuis, le comédien voyage d’une famille théâtrale à l’autre, au gré des invitations. «Je suis un itinérant, je vais de port en port.» De nature solitaire, il s’est révélé être un brillant athlète dans l’art du monologue. Que ce soit dans Exécuteur 14 d’Adel Hakim, Premier Amour de Beckett ou l’incontournable Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertész, Jean-Quentin Châtelain prend à bras-le-corps ces soliloques et leur donne chair avec une intensité presque douloureuse. «Les monologues c’est une marche dans les traces de quelqu’un, le texte est un sentier. Et j’aime ce temps de la marche en solitaire, presque introspectif.» Il y a un engagement physique intense pour ce genre de spectacle, le plaisir ambigu de l’effort. Pendant le temps des répétitions, le comédien met son corps en difficulté et lutte contre ses propres limites. A pied ou à vélo, il aligne les kilomètres, comme un rituel naïf de mise en condition. «J’aborde les monologues en les répétant, en les maniant dans tous les sens, en les psalmodiant, en les ânonnant. J’ai parfois l’impression que je passe le texte à la machine à laver. A force de le répéter, le sens nous parvient. C’est comme une prière.» Et de comparer son apprentissage à l’âne qui continue toujours sa route avec obstination: «J’apprends un peu comme un âne, j’essaie de prendre le chemin du texte, comme un âne prendrait un poids sur ses épaules et le trimballerait avec. Le texte, c’est une charge, mais on voit du pays aussi avec un texte, on voyage.» Un amour du verbe qui prend ses racines dans le giron familial. «Mon père qui était avocat répétait ses plaidoiries à la maison, les testait sur nous. Il y avait une magie du verbe qui opérait à la maison», se souvient-il. Et de se rappeler les farces qu’il faisait à sa mère, son premier public. Quand le petit Jean-Quentin s’asseyait sur un tabouret à la cuisine et observait sa mère sculpter, il était saisi par une forme de mysticisme singulier. «Quand je regardais ma mère travailler la glaise presque à l’aveugle, comme dans un second monde, cela me fascinait. Je retrouve cet état de grâce dans les monologues où il y a un rapport au public qui est proche de l’hypnose. Dans le parcours d’au moins une heure que dure un monologue naît une forme de transe que j’aime particulièrement», nous explique-t-il. C’est aussi un exercice périlleux et excitant à la fois: «Le texte c’est comme un fil tendu où on tente de garder son équilibre, comme un funambule. C’est justement le plaisir du vide, de cette solitude sur le fil qui donne la beauté du voyage.» […]

Thierry Capéran Création lumière / Régie générale / Régie lumière
Depuis plus de vingt ans, il réalise des conceptions lumière pour les différentes disciplines de l’art vivant : théâtre, musique, danse, cirque. Il travaille pour Philippe Genty à plusieurs reprises : sur « Dédale » créé à la Cour d’Honneur du Palais des Papes pour le festival d’Avignon, sur « Ne m’oublie pas », spectacle pour lequel il est nominé aux Molières dans la catégorie « Meilleur spectacle visuel », et enfin sur « Paysages intérieurs », sa dernière création. Il occupe aussi le poste de régisseur général pour ces trois spectacles en tournée. Il travaille également pour Agnès Jaoui en concert, le Trio Esperança, Misia, Philippe Maymat, la Cie Tamèrantong, l’ensemble Aleph, la Cie Picomètre, la Cie Libertivore, le Théâtre Luzzi, la Cie le Rouge et le Vert… Il est aussi régisseur général pour Dan Jemmett, Didier Bezace, Aurélien Kairo, Clémence Massart, Catherine Marnas, François Rancillac… Plus récemment, il signe la lumière de « Happy Endings » de Harry Holtzman du Collectif Label Brut à la Scène Nationale de Château-Gontier, du tour de chant d’Agnès Jaoui, accompagnée par le groupe Carabanchel et l’ensemble Canto Allegre et de « Premier Amour » de Samuel Beckett avec Jean-Quentin Châtelain au Théâtre des Halles lors du festival d’Avignon 2021

Il faut se précipiter au Théâtre des Halles pour admirer la performance hallucinante du comédien suisse dans ce monologue du dramaturge irlandais qui conte la triste et folle histoire d’un fils de famille rejeté par sa tribu après la mort de son père. Le metteur en scène Jean-Michel Meyer et son hallucinant comédien en ont fait un de ces purs et absolus plaisirs de théâtre dont on ne saurait se passer. Parce qu’on y voyage avec émotion et chaleur dans une vie tragique et burlesque, parce qu’on y chemine aux côtés d’un être pitoyable et magnifique, insensé, qui fait tout ensemble constamment sourire, rire et s’émouvoir jusqu’aux larmes… Fabienne Pascaud | Télérama

Jean-Michel Meyer a très bien intégré dans sa mise en scène, l’interdiction de Beckett et de Jérôme Lindon : pas de musique, pas de décor, pas de gesticulation ! il a réussi à obtenir que le texte ne soit pas lu mais dit ! Une nuance qui a son importance. Sur scène une antique chaise de bureau ! La musique sera le bruit qu’elle fait lorsque l’acteur la tourne. Un grincement qui en dit long ! Le travail de lumière fait son oeuvre pour inscrire une ambiance. Quant à la gesticulation, Jean-Quentin Châtelain n’en a pas besoin. Cet acteur qui a beaucoup travaillé avec Claude Régy est plutôt à son aise dans le minimalisme pour faire de cette contrainte un atout. Son corps en dit long ! Dans cet écrin qu’est la Chapelle du théâtre des Halles, le texte résonne alors admirablement. Marie-Céline Nivière| L’œil d’Olivier