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saison 2022/2023

MUSIQUE

I Care

Emily Loizeau

Jeudi 10 novembre
20h | Durée 1h30

Grande Salle
Tarif A

Ce nouvel album d’Emily Loizeau a été écrit comme un journal intime. Il raconte notre époque, notre société ébranlée par les dérèglements climatiques, impactée par les crises économiques et sanitaires, et qui, malgré tout, n’aspire qu’à se réapproprier son mode d’existence et sa durabilité. Le langage de ce spectacle est empreint de tout cela . À la fois musical et physique, intime et incandescent, le corps se déploie et s’exprime quand la voix n’y parvient plus, dans un monde aride mais résolument prometteur. Inclassable et inlassable chercheuse, Emily Loizeau explore une large palette musicale autour de son piano et de son champ des possibles, accompagnée de son groupe au son rock et impétueux.

Chant et piano Emily Loizeau. Basse et claviers Boris Boublil. Batterie Sacha Toorop. Guitare Csaba Palotaï, Jean-François Riffaud. Mise en scène Julie-Anne Roth. Chorégraphie Juliette Roudet. Scénographie Salma Bordes. Création lumière Samaële Steiner. Son Sébastien Bureau. Lumière Lucas Delachaux, Laura Sueur. Régie générale Charles Colas. Assistant.e régie Vivien Cadro, Samia Redjala.

© Photo : Ludovic Careme

Distribution : FURAX. Soutiens : SACEM, La Culture avec la Copie Privée, ADAMI, CNM

Site de la compagnie

Biographie Emily Loizeau / Icare
par JD Beauvallet

C'est l'histoire d'une rockeuse qui n'avait encore jamais enregistré d'album rock. C'est l'histoire d'une chanteuse (à moitié) anglaise de pop qui n'avait encore jamais enregistré d'album en Angleterre. “C'est quand même fou, s'étonne Emily Loizeau. C'est un rêve que je nourrissais depuis toujours. Mais j'attendais le bon moment, les chansons justes : je trouverais ridicule d'enregistrer en Angleterre juste pour faire joli sur la bio.”
C'est l'histoire de Icare, cinquième album studio de la Franco-Anglaise. Et elle est riche en premières fois, en nouveaux défis, en rencontres inédites, en méthodes assouplies. Comme, par exemple, de sortir cet album en totale indépendance, sans conseils à suivre, d'avis à prendre en compte, en confiant juste la distribution à [Pias]. Comme, par exemple, de choisir en gage de liberté, la production d'un Anglais, John Parish, dont les états de services, voire de sévices, font rêver Emily, de PJ Harvey à Aldous Harding. C'est enfin, par exemple, de passer le piano si bien élevé d'Emily dans de rugueuses pédales d'effets de guitare rock. Mais il fallait briser des règles, la bienséance : le monde l'exigeait. Il y a donc un côté table-rase dans Icare et Emily Loizeau n'a pas hésité à fracasser la vaisselle, le confort et les habitudes dans ce processus libérateur.

Mais avant de tout briser, on remonte avec cette fausse sage, cette cascadeuse, dans le temps, à l'enfance, avant la rage, avant de chanter : “Quelle est donc cette douleur étrange/Comme un nouveau poids sur l'existence ?”
Emily Loizeau se souvient avec tendresse de la première chanson qui soit sortie de sa bouche : Skye Boat Song, berceuse écossaise que lui chantait sa maman. Elle parle du Prince Billie qui s'échappe en mer pour sauver sa peau, avant de devenir roi à son retour d'exil. “Je la mets aujourd'hui en perspective avec les populations en migration, qui s'échappent de chez eux pour juste survivre.” A la maison, Emily chante sans répit, à tue-tête. Papa est athée, maman n'est que vaguement protestante. Face à ce couple si libéral, cultivé et ouvert, la révolte adolescente prend pour Emily et sa sœur aînée une savoureuse tournure : elles entrent en religion comme d'autres en rébellion. Ça sera désormais à l'église qu'elle chantera, notamment du Cabrel. Chanter en public la ravit, elle prend conscience des possibilités illimitées de son chant. “Je suis née avec un truc très fort vis-à-vis de la musique et du son.” Son rapport au son est tel qu'un jour, à 6 ans, elle sort d'une diffusion de Carmen secouée par la sonorisation hasardeuse : elle en vomit.
Très jeune, elle applique cette passion viscérale pour la musique à l'apprentissage du piano. Dans l'excès : jusqu'à huit heures par jour d'un travail de forçat. “En musique, une partie vient d'une évidence, d'un côté première langue ; l'autre de la construction, d'une discipline. La chanson n'est pas venue naturellement à moi, j'ai dû aller la chercher”, sourit-elle. De ses années d'apprentissage, elle conserve une virtuosité et une liberté de jeu qui ne l'abandonneront jamais. Même lorsqu'il faudra désapprendre pour se lancer en chansons. Car à cette simplicité, cette improvisation, Emily Loizeau n'a jamais été formée, informée. “A l'époque, le monde du classique était très compétitif et ne s'intéressait qu'à lui-même. Le rock était regardé de haut. Aujourd'hui, au Conservatoire, ma fille joue du Agnes Obel !” C'est justement cet esprit athlétique de compétition qui l'éloigne du piano tout puissant. Lui manquent trop la légèreté, la spontanéité, l'instinct, la révolte même, impossibles dans ce corset serré. Elle grandit dans le respect de la partition, de l'interpétation. Du coup, même si elle écoute Bob Dylan ou Nina Simone à la maison jamais l'idée de composer, en groupe ou seule, n'entrent dans son champs de possibles. Mais à l'adolescence, les mélodies commencent à pointer, bâillonnées depuis des années, les textes suivent vite. Ce n'est pas une petite source hésitante mais un fleuve en crue. Elle plaque le Conservatoire à la mort de son père, fuit en Angleterre étudier le théâtre, embarque, faute de piano, un accordéon. Ses premières chansons dans cet appareil désuet sont des reprises, de Piaf à Tom Waits. “Comme je ne savais pas jouer d'accordéon, j'ai été forcée de me contenter de trois accords. Ça m'a totalement libérée. J'ai découvert le jeu primaire, enfantin.” Elle revient, forte de cette approche rudimentaire, au piano, autrement. “Une chanson, c'est sérieux, même si ça doit apporter de la joie et de la légèreté. Ellle doit émaner de quelque chose de vital, d'un geste nécessaire, comme le besoin de respirer.”

Quand on évoque l'absence d'engagement, voire l'apathie d'une large partie de sa génération de quadras, on sent Emily Loizeau dégringoler dans ses entrailles, comme on descend à la cave chercher des réponses oubliées. “On a été bercés dans l'illusion que nos parents avaient déjà fait la révolution à la fin des années 60 et que c'était joué… On croyait avoir dépassé ça, on trouvait ces engagements naïfs et has-been. On vivait dans l'insouciance, la mollesse. On était dans la jouissance. Moi qui suis pourtant fille et petite-fille de militants, j'ai longtemps pensé que transmettre un message pertinent sans sombrer dans le ridicule était réservé à des artistes visionnaires, que je plaçais au sommet de ma mythologie… Mon engagement depuis l'enfance est resté dans le domaine de la citoyenne, pas de la chanteuse. Je ne ressentais pas ce besoin, ça ne s'imposait pas à moi et je ne me sentais pas légitime à le faire. Pas d'urgence, pas de chansons donc… Il n'existe rien de pire qu'une mauvaise chanson engagée.”
Pourtant, Emily Loizeau n'a jamais cessé d'écouter Bob Dylan, fascinée par ses mélanges vertigineux entre le poétique et le politique, l'universel et l'intime. Lui et quelques autres poètes terrassants lui fournissent une langue, une grammaire personnelle de la colère : elle n'a plus le droit d'écrire comme avant. “Le monde s'est imposé à moi, il n'a plus laissé de place à l'insouciance. J'ai vieilli, j'ai mûri, j'ai forgé une lucidité. La colère a grandi avec la guerre en Syrie et notre réaction à l'arrivée des réfugiés, avec les enjeux climatiques, avec notre incapacité à accueillir ce qui sort de la norme.” On reparle alors de son album Mona, interrogation pudique et pourtant profonde sur le déséquilibre psychique de sa maman.
Le 13 novembre et le carnage du Bataclan marquent un très net point de bascule. La chanson Le Poids de l'existence, en ouverture de l'album, témoigne pudiquement de cet effroi, de cet effondrement des repères. “C'est le moment où je me suis dit que ce n'est pas le projet de vie que j'avais imaginé, toute cette noirceur, le gouffre… On a besoin de chansons en échappatoires… Mais je trouve ça compliqué d'être dans la frivolité aujourd'hui. J'ai la chance d'avoir la parole, je ne vais pas rejouer la promo, le nombrilisme. Si je peux pousser à la révolte ne serait-ce qu'une personne sur une tournée, ça sera une victoire. Je veux pouvoir regarder mes enfants dans les yeux.”
Le discours est intense, la mine grave, le geste nerveux. Emily Loizeau ressemble à un oiseau englué dans la marée noire. Elle veut pourtant continuer d'être vivante, légère. “Même enfant, je devais me battre pour la légèreté, rit-elle. J'ai été très jeune obsédée par l'angoisse de la mort. J'ai pourtant vécu une enfance et une adolescence débridées et joyeuses. La mélancolie est mon épée de Damocles. Mais grâce à mes enfants, je suis moins centrée sur moi. J'aime ma famille, ma vie, mon travail. Même si ce bonheur est entaché par le monde, je n'ai pas le droit de renoncer. Ça serait insupportable de vivre au quotidien avec la certitude qu'il n'existe pas de solutions. On ne va pas se laisser faire. Il existe heureusement des propositions positives, même si la noirceur prend de la place.”

Etonnamment, la noirceur n'occupe effectivement pas tout le terrain sur Icare. Ce n'est pas un meeting militant, ce n'est pas non plus The Road sans issue de Cormac McCarthy, c'est un disque. Agité, enragé, engagé, mais fichtrement musical. Ici, dans les textes comme dans les mélodies, rien n'est fini, rien n'est figé. A la manière du peintre Pierre Soulages, Emily Loizeau s'empare de cette noirceur pour la pétrir, la déformer, la maltraiter. Il y a toujours une décharge électrique, un rayon de lumière pour que vivent les chansons. “Il y a une joie à se sentir les pionniers de quelque chose de neuf, sourit-elle, évoquant le monde d'après. Les jeunes ont tout à inventer, ils ont le crayon.”

Mais avant l'après, il y a le pendant. Icare est ainsi un pur produit de son environnement : le confinement. L'écriture de l'album a été poreuse à ce chaos. Depuis son petit studio, Emily travaille alors virtuellement, par fichiers, avec ses musiciens, Csaba Palotaï, Boris Boublil, Sacha Toorop. Au bout du tunnel, il y a cette joie de finalement, un jour, jouer vraiment ensemble. Puis cette récompense, ultime pour une fan de PJ Harvey : son fidèle collaborateur, John Parish, a accepté de produire ce cinquième album. Il attend la troupe début juillet aux mythiques studio Rockfield du Pays de Galles. Mais des restrictions de déplacement annulent ce rêve. Ce n'est que partie remise : le groupe, car c'en est devenu un, soudé par l'adversité, décide de passer en force les frontières. Ils mettent finalement le pied sans encombre, sans besoin des tonnes de documents amassés, sur le sol britannique. Le premier coup de fil, triomphant, est pour John Parish, qui n'en croit pas ses oreilles. “Tout était si flou et vague en Grande-Bretagne, dit le producteur. Je ne les attendais plus.”
“Je me suis pincée en arrivant finalement à Rockfield. J'ai ressenti un tel soulagement…”, se souvient Emily. Sous ses airs de colonie de vacances libérée de la lourdeur des mois écoulés, au compte-goutte, la fine équipe bosse pourtant sans répit. John Parish s'étonne même, aujourd'hui encore, de la  rigueur et l'intensité de ces enregistrements. “D'habitude, il me faut au moins vingt-cinq jours pour enregistrer et produire un album. Là, en dix jours, tout était plié. Ce sont tous d'excellents musiciens, on ne perd pas de temps. Ça a été une période très créative, productive.”
Loin de sa maniaquerie habituelle, de ses légendaires fantasmes de perfection, Emily Loizeau découvre le laisser-aller, le lâcher-prise. Elle est venue à Rockfield pour jouer contre sa nature, pour découvrir l'ivresse d'enregistrements en deux ou trois prises seulement, pour tester l'urgence d'un groupe de rock. “Je voulais dépasser mon rapport parfois clinique à l'enregistrement, à la prise de voix. Dès le début de nos échanges avec John, je lui ai réclamé de me contraindre au relâchement. D'ordonner à ma voix que l'important n'était pas ce qu'elle prouvait, mais ce qu'elle racontait. J'ai pris conscience que ce que je considérais souvent des imperfections étaient en fait les fêlures qui me définissent. Pour l'accepter, j'avais besoin d'un type comme lui, que je respecte entièrement. Il a une démarche à la fois rock, brutale et en même temps, acoustique, fragile… Il n'est jamais dans la recherche de l'efficacité. Et pourtant, tout est pensé, prémédité.”

Pour définir bien en amont le son, l'ambiance, le projet même de ce nouvel album, Emily avait couvert un panneau de Post-it, sur lesquels le nom “John Parish” était très vite apparu. Il y avait aussi la phrase “rien à foutre”. Tardivement, en soupesant chaque lettre, Emily y a finalement inscrit le titre de ce cinquième album. Elle cherchait du côté des volcans où l'on danse, des plaques tectoniques à la dérive : la vie 2020, en somme. Mais elle optera finalement pour un jeu de mot, entre compassion et mythe fatal. Ça sera Icare, parce qu'avec nos fantasmes de grandeur, de démesure, nous sommes tous Icare ; et parce que reste malgré tout demeure la compassion, ça sera aussi  “I Care” – “je me soucie” dans sa langue maternelle –, sursaut d'humanité et de solidarité. I Care comme devise d'un monde à remodeler, à partir de la glaise, du magma.

Parmi les Post-it, on retrouvait également l'idée de chansons ressemblant à des appels aux secours venus de marins en perdition, l'imagerie des sémaphores, des livres références ou le nom de Bob Dylan. Comme la pianiste de Conservatoire qu'elle fût, la Francilienne part de Dylan pour faire les gammes du prochain album, le traduit en français, se l'accapare. Là aussi, la simplicité apparente, cette fausse nonchalance, font rêver Emily. C'est dans cet esprit que John Parish l'oblige à jouer tout en chantant, pour éloigner la conscience aigüe de la voix. Ainsi saisie au naturel, sans possibilités massives de retouches, le chant se révèle. La chanteuse tente parfois de résister, mais la bonhomie de l'Anglais a le dernier mot. “Je crois qu'on l'a” commente-t-il inlassablement, en achevant les premières prises, sans égards pour les aspérités d'un album parfaitement imparfait. En un mot : rock. John Parish confirme, avec un de ses sourires malicieux. “On m'avait prévenu de sa maniaquerie habituelle, mais j'ai travaillé avec bien pire, rigole-t-il. Elle a des goûts très affirmés, mais elle avait décidé de baisser ses gardes. Mon travail a été celui d'un traducteur, car tout était déjà dans sa tête. Il me fallait juste en extraire l'essence même. Pour moi, un chant réussi ne relève pas de la prouesse vocale mais de sa capacité à atteindre les tripes. Là-dessus, elle m'a fait confiance. Si on veut la perfection, on n'a qu'à allumer auto-tune ! Ce qui ne m'intéresse pas du tout.”
John Parish avoue avoir été impressionné par le niveau d'exigence, le degré de finition que le “groupe” avait insufflés à ses maquettes, à ses arrangements. Mais ce qui l'a le plus soufflé reste les cartons de nourritures que le groupe, craignant une quarantaine stricte, avait emporté depuis Paris. “Je n'ai jamais aussi bien mangé en studio, se réjouit encore John Parish. Les uns et les autres se sont succédés aux fourneaux, ils sont aussi doués en cuisine qu'en musique !”

La Franco-Anglaise Emily Loizeau revient avec Icare, un cinquième album, rock et engagé, réalisé au Pays de Galles par John Parish (célèbre pour ses collaborations avec PJ Harvey, Aldous Harding ou encore Arno). RFI

On a du mal (pour notre plus grand bonheur) à saisir la trajectoire de la franco-britannique Emily Loizeau, reprenant aussi bien Lou Reed que divaguant à l’autre bout du monde. La dame sait se rendre insaisissable et ce n’est pas cet Icare fantasque et racé qui viendra changer les choses à ce niveau-là. Emily Loizeau propose une Pop immédiatement accessible mais aussi d’une ambition que l’on rencontre peu dans l’hexagone. Greg Bod | Benzine

Dans son album « Icare, l’auteure compositrice interprète chante le chaos du monde avec une énergie libérée, pour un rock en français sous influences anglo-saxonnes. Qui fait encore du rock en France ? Sur la scène hexagonale dominée par la chanson et le rap, les rockeurs se comptent sur les doigts des deux mains. Emily Loizeau rejoint, avec Icare, ce petit club où l’on trouve d’Arman Méliès, Feu ! Chatterton, Radio Elvis, Gaëtan Roussel, Michel Cloup Duo, Hubert-Félix Thiéfaine, Jean-Louis Aubert, Bernard Lavilliers…, mais qui manque de femmes. L’artiste fait montre de sa dualité personnelle (mère anglaise, père français), et esthétique (chanson française et pop anglo-saxonne), jusque dans le titre de ce nouvel album. Nathalie Lacube | la croix

Si certains passages sonnent plus rock, le ton reste essentiellement folk et le piano est encore très présent (Le poids de l'existence, Le délice à pleurer, Silent...). Outre la musicienne, on retrouve également la compositrice qui a gardé intacte cette capacité unique à façonner méticuleusement ses mélodies (Renversé, Through My Backdoor To the Moon). Les arrangements sont subtils mais c'est là une constante chez une artiste qui soigne particulièrement cet aspect, des interludes de L'autre bout du monde au feu qui crépite dans Make the Beauty Make Me Walk (Mothers & Tygers) et, ici, la fine pluie de Listen. Eric Buggea | Corse Matin