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saison 2022/2023

FOCUS FRANÇOIS RANCILLAC

THÉÂTRE | DÈS 15 ANS

Hermann

Mise en scène François Rancillac
Théâtre sur Paroles & Travelling Théâtre

Coproduction DSN

Jeudi 23 février
20h | Durée 1h30

Grande Salle
Tarif A

Une histoire d’amour au-delà du temps…
______

Un beau matin, la police dépose au service de neurologie d’un hôpital un jeune homme égaré, dans tous les sens du terme, Hermann ne se souvient que de quelques mots de russe et d’un mystérieux prénom : Olia.
Hermann est un conte. Un conte d’aujourd’hui, où l’improbable devient l’évidence. C’est aussi une enquête qui, tel un road-movie, nous transporte du sud au nord de la France, en passant par la Pologne et la Russie. Comme un rêve éveillé que le spectateur vivrait en même temps que les personnages, sans cesse balloté entre passé et présent, réalité et subjectivité. Hermann, c’est aussi et surtout une histoire d’amour fou, par-delà l’espace et le temps. Impossible. Et pourtant, ça marche.

Et je monte le son !
Prolongez la soirée au bar de DSN en musique avec Djay Douxx de 21h30 à minuit !

Texte de Gilles Granouillet. Édition L’Avant-Scène Théâtre. Mise en scène François Rancillac. Interprétation Claudine Charreyre, Daniel Kenigsberg, Lenka Luptakova, Clément Proust. Dramaturgie Gilles Granouillet. Scénographie Raymond Sarti. Costumes Sabine Siegwalt. Lumière Guillaume Tesson. Son et composition musicale Sébastien Quencez.

© Photo : Christophe Raynaud de Lage

Production : Théâtre sur paroles – conventionné par le Ministère de la Culture – DRAC Île-de-France et Travelling Théâtre – conventionné par la région Auvergne Rhône-Alpes, le département de la Loire et la ville de St-Etienne. Production déléguée : Théâtre sur paroles. Coprods : Théâtre des 2 Rives – Charenton-le-Pont, La Maison des Arts du Léman – SN de Thonon-Evian, l’Espace culturel Albert Camus du Chambon-Feugerolles, le Théâtre Victor Hugo de Bagneux, DSN – Dieppe Scène Nationale, le Théâtre d’Aurillac, la Comédie de St-Etienne

Site de la compagnie

J'ai rencontré François il y a maintenant plus de quinze ans lorsqu'il prit la direction de la Comédie de Saint Etienne avec Jean-Claude Berutti. J'étais alors auteur associé au CDN que venait de quitter Daniel Benoin. Une situation difficile pour un collaborateur artistique qui n'avait pas été choisi par la nouvelle direction. Pourtant Jean Claude et François ont bien voulu poursuivre la collaboration. C'était le début d'un compagnonnage entre metteur en scène et auteur qui passera par quatre créations et une cinquième aujourd'hui avec Hermann, une fidélité artistique rare. Bien entendu toute fidélité bien vécue sait éviter l'exclusivité. François a monté d'autres auteurs, mes pièces ont été portées à la scène par d'autres metteurs en scène. Pourtant nos personnalités très différentes l'une de l'autre – si différentes parfois que je m'étonne de ce parcours- se sont toujours retrouvées autour de la littérature et du plateau de théâtre. Je crois que le maître mot doit être « Il sait faire des choses que je serais bien incapable de faire...» bref, la conviction d'une complémentarité et la reconnaissance du talent de l'autre.

François a été un des tout premiers lecteurs d'Hermann, c'était en 2013 le texte était encore un manuscrit, il m'avait dit à l'époque combien il aimait cette pièce qui était alors destinée au théâtre de la Ramée qui me l'avait commandée. Je savais que ce n'était pas une politesse : François a su me dire le contraire quand mes textes lui sont tombés des mains. Alors, il y a quelques mois, quittant la direction du théâtre de l'Aquarium il a évoqué le souhait de mettre en scène Hermann, spontanément je lui ai proposé d'associer ma compagnie au projet. Pourquoi ? Parce que cela me semble être une très belle manière de poursuivre cette amitié artistique. Mais aussi parce parce que je crois que ce type d'association entre compagnies - de «vraies» coproductions ai-je envie de dire où les risques sont partagés où les équipes sont mixées dans la même aventure- sont porteuses d'avenir. A l'heure où les financements publics sont souvent revus à la baisse, où les questions de diffusion deviennent problématiques devant la multiplication des propositions, croiser les réseaux de diffusion, mettre en commun nos moyens financiers et humains sur une seule production est une réponse à une situation de crise. Il n'y aura qu'un metteur en scène sur ce spectacle : François Rancillac. J'ai moi-même signé près de trente mises en scène mais je ne vis aucune frustration : je crois qu'il est temps de sortir d'un modèle très français qui fait du metteur en scène l'alpha et l'oméga de la création sur nos scènes de théâtre. Ceux qui connaissent de près ce qu'est réellement la « fabrication » d'un spectacle savent qu'il s'agit là, avant tout, d'une aventure collective et que l'acte de création au théâtre n'est jamais le fruit d'un seul homme. C'est sur cette idée du théâtre que nous nous sommes engagés avec Hermann.

La cuisine d'un auteur

En 2012 j'avais terminé une première version d'Hermann avec une fable proche de celle que l'on peut lire aujourd'hui. Elle me satisfaisait à bien des égards : on pouvait déjà y lire cette histoire d'amour qui défit la science, on pouvait y voir ces quatre personnages, ces couples démolis et reconstitués à travers les années, j'avais pu y injecter la question de la perte de la mémoire qui venait de me frapper personnellement à travers la disparition d'un être cher victime d'un Alzheimer. Pourtant je laissais reposer le texte à moitié convaincu, certain que j'avais laissé quelque chose en chemin, mais quoi ? Je l'ai compris quelques mois plus tard. C'était une question de temps. Simplement de temps. La pièce était écrite au présent, il lui manquait la distance, la distance du temps passé. Le surplomb des années. Léa se souvient ou plutôt elle essaye de se souvenir, c'est la femme de 42 ans qui fait remonter la jeune femme de 29 ans, c'est cette tentative fragile de reconstitution qui nous fait réécrire le roman de nos vies. Mais nos vies ont elles été ce dont on veut bien se souvenir? Le souvenir n'est il pas le mensonge avec lequel on choisit inconsciemment de s'arranger ? Il me fallait tout reprendre, une histoire en vaut une autre, ce qui compte c'est la façon de la raconter. J'ai écris Hermann à cinquante ans, sans doute faut-il atteindre cette âge pour se poser ce genre de question, plus jeune on s'en passe aisément ! « Et plus le temps nous fait cortège, et plus le temps nous fait tourment » écrit Jacques Brel. Relisant aujourd'hui cette pièce qui reste pour moi ma « pure histoire d'amour » je voudrais y ajouter les vers qui suivent et qui épousent cette volonté farouche d'aimer qui traverse chaque personnage d'Hermann : « Mais n'est-ce pas le pire piège, que vivre en paix pour des amants ? »

Gilles Granouillet

Notes de travail - François Rancillac

Hermann est un conte. Improbable, comme tout conte. Mais, par la grâce de l’écriture du grand dramaturge qu’est Gilles Granouillet, le lecteur (puis le spectateur) ne peut que « marcher » au fil de cette enquête qui fait voyager à travers le temps, de ce quasi road-movie qui nous entraîne du Sud au Nord de la France en passant par la Russie et la Pologne.

Hermann sera la cinquième pièce de Granouillet que j’aurai mises en scène, après Le saut de l’ange (2004), Zoom (2009), Nager/ cueillir (2013), Ma mère qui chantait sur un phare (2013). Et c’est sans doute la plus belle des cinq – que j’aime tant pourtant ! Ici comme là, on retrouve son obsession, le coeur secret de son théâtre : dès que la vie se rouille sous le poids des renoncements, dès que les êtres s’atrophient sous la grisaille de l’habitude, s’immisce un grain de sable qui fait soudain dérailler le cours des choses, éjecte les humains de leur ornière et les pousse brusquement à aller voir ailleurs s’ils y sont.

Ce verrou qui saute et rouvre le champ des possibles peut être un célèbre baiser hollywoodien (Zoom), une manif vue à la télé (Nager/Cueillir), une mauvaise chute (Le saut de l’ange) ou encore une énième crise de nerfs (Ma mère qui chantait sur un phare). Dans Hermann, il suffit que ce jeune homme sans mémoire débarque pour que le couple si bien installé, si bien arrangé, que forment l’élégante Olia et le cossu Daniel Streiberg, implose ; pour que le quotidien sans histoire de la jeune neurologue Léa Paule dérape soudainement, ruinant au passage tous ses repères de scientifique ; pour que les faux-semblants passent à la trappe, pour que la vie reprenne ses droits et que les cartes soient à nouveau redistribuées sans autre logique que celle de l’amour et du vivre. Alors Daniel, qui se croit condamné par sa « tête de con », sa laideur et son âge, peut enfin rencontrer une femme sans la payer et lui donner des enfants ; alors Léa, qui n’a jamais croisé que sa propre solitude chez les hommes, comprend enfin auprès de Daniel ce que c’est qu’aimer ; alors Olia, qui avait sacrifié son passé sur l’autel du confort, renoue avec elle-même, sa langue et avec l’amour de sa vie, pardelà le temps, par-delà surtout toute logique - puisque Hermann, vingt ans après leur séparation, a toujours le même âge, le même visage, comme si le temps glissait sur lui, comme s’il n’était qu’un revenant - ou un pur phantasme…

« C’est un conte de fée et je recommence ma vie ! », s’écrit Olia. Il y a effectivement du merveilleux dans ce soudain réenchantement du monde que propose Hermann grâce au « miracle de l’amour » - et il faut tout le talent de Granouillet et le subtil savoir-faire du grand conteur qu’il est, pour arriver à nous faire croire à l’impossible, pour aller réveiller en nous cette part d’enfance qui n’a pas encore totalement renoncé à l’émerveillement. Mais c’est un conte de fée qui, loin de toute niaiserie, a sa part de douleur vive, incicatrisable, car le choix de l’amour n’est pas sans risque et peut « coûter un bras ». Olia, qui a abandonné mari et maison pour suivre son amant fantomatique, perdra tout à l’attendre obstinément : son confort, sa liberté, sa raison, ses yeux, s’enfonçant telle une « patiente crépusculaire » dans la nuit de son attente infinie. Même Daniel et Léa, qui ont fui de l’autre côté de la France pour tout recommencer à zéro, se savent à jamais brûlés au plus profond d’eux-mêmes par une « douleur trouble » : « Il reste autre chose, confiera Daniel à sa femme. Une chose que tu ne peux pas voir, les nuits où je me relève. Où je fume, seul, à poil, au milieu de la cuisine. Je ne peux pas la nommer. Je vacille, mon corps se fend en deux, il s’ouvre sur le vide ! Et puis je m’apaise, ça se referme. Ça s’endort. Le matin revient. Le vrai monde revient. Mes enfants. Toi. »

Ce qui les fait encore vaciller, c’est l’énigme absolue qu’incarne Hermann, et qu’aucune science (qui « nous sort de l’ignorance et par conséquent de la folie ») n’arrivera jamais à arraisonner. Puisque Hermann ne vieillit pas. Puisque qu’il est peut-être juste « une histoire d’amour, une pure histoire d’amour qui ne s’éteint pas. » Comme Tristan et Yseult, comme Héloïse et Abélard, comme La princesse de Clèves, et tutti quanti. Hermann n’est pas une pièce romantique, une énième variation sur l’amour éternel. C’est une pièce qui raconte le réel foudroyé par l’absolu, à l’occasion d’une simple conversation surprise à la volée au travers d’une porte entrouverte au fond d’un « couloir aveugle » dans un quelconque hôpital du nord de la France. Un absolu qui se déprend des frontières, des limites, du temps et de la mémoire, et entraîne les êtres dans son maelström. C’est une pièce au temps flottant, tout entière suspendue à un immense flash-back qui permet rétroactivement de boucler la boucle, magistralement mais l’air de rien – avec le doigté de Gilles Granouillet, avec son immense tendresse pour les dérisoires et valeureux humains que nous sommes.

(parole/récit – la mémoire au travail)

La pièce se présente comme un immense flash-back : Léa Paule reconnaît à travers une porte mal fermée la voix d’Hermann, et nous revenons 13 ans en arrière, quand elle l’a rencontré la première fois…

Pour autant, les choses ne sont pas si simples – et c’est là que la pièce de Gilles Granouillet n’est pas qu’un bon scénario de film. Car le récit de l’apparition d’Hermann, il y a treize ans, est bien raconté depuis aujourd’hui, 13 ans plus tard. Plutôt qu’un flash-back, il s’agit ici en fait d’une reconstitution - presqu’au sens policier du terme - pour tenter de comprendre ce qui s’est passé jadis et qui demeure incompréhensible : une enquête. Voilà sans doute pourquoi les personnages déclinent successivement leur identité pour se présenter au public enquêteur :

« Je m’appelle Léa Paule, je suis médecin, je suis neurologue, j’ai 42 ans, deux enfants, je suis mariée… »
« Je m’appelle Olia Streiberg et j’ai 42 ans. Je suis la femme du cardiologue Daniel Streiberg… »
« Je suis l’homme plein aux as qui ne sait rien, dans la grosse bagnole, garée devant la grosse villa, avec de gros soucis d’impôts… », etc.

Mais qui dit reconstitution dit reconstruction : le temps est passé par là, et la mémoire a fait son inévitable travail d’oubli, de filtre et de recomposition. Car où est l’exacte vérité dans un souvenir ? Léa Paule, qui est neurologue, en sait quelque chose :

« Je suis bien placée pour savoir que la mémoire n’est pas objective. La mémoire n’est rien d’autre qu’une collection d’instants dont le cerveau a gardé la trace. C’est notre raisonnement qui s’évertue à les recoller ensemble pour leur donner un sens. Souvent, même à notre insu, nous tordons la réalité du souvenir pour que le sens nous convienne. La mère de 42 ans est très loin de la jeune femme de 29 ans que j’étais à l’époque : mon vécu de femme mûre imprègne mon souvenir au point de se demander qui est là : la jeune femme que j’étais ou la mère de 42 ans ? C’est ça la mémoire : le puzzle d’hier recollé par des mains d’aujourd’hui. »

Cette reconstruction du passé dans le présent qu’est le souvenir s’inscrit au coeur même de l’écriture de la pièce qui tricote à l’envi, sans cesse et sans prévenir, le récit raconté au passé et le présent d’une situation… passée mais reconstituée hic et nunc sur scène. Par exemple, et entre mille autres :

Léa Paule (…) Monsieur Hermann, le mieux est de partir tout de suite et je voudrais vous accompagner.
Hermann Merci, madame.
Léa Paule Alors je dois faire le saut en arrière. J’ai entendu et j’ai poussé la porte, maintenant il me faut dire : à l’époque. Alors je dis : à l’époque, à l’époque j’étais déjà le docteur Paule mais un docteur Paule de 29 ans, ni mari ni enfants…

Ou bien :

Léa Paule Madame Streiberg, je suis une collègue de votre mari, je vous prie de m’excuser, seriez-vous parente avec un certain Hermann ?
Olia Streiberg J’ai dit oui, je me suis assise, j’ai suffoqué et j’ai dit oui et en le disant je savais que ma vie allait changer. J’ai dit oui alors que je ne suis pas vraiment parente avec Hermann… à vrai dire je ne suis pas du tout. Mais comment dire non à la fenêtre qui s’est ouverte ?

Ou encore :

Daniel Streiberg (…) J’ai attendu là, derrière la porte parce que je me disais : tant que tu restes à côté de cette valise, il ne s’est rien passé. Ma femme a fini par descendre des chambres, elle m’a souri. Il m’a semblé qu’elle était contente de me voir.
Olia Streiberg J’allais oublier cette valise. Ne t’inquiète pas, j’ai pris une chambre en ville et j’ai laissé une lettre sur le lit. Tu sais que tout ne va pas très bien pour moi en ce moment. Je viens de comprendre qu’il me fallait être seule quelques jours pour que tout aille mieux. J’allais l’oublier, est-ce que tu veux bien me la passer ?
Daniel Streiberg Alors j’ai pensé que si c’était moi qui donnais cette valise à cet instant, rien n’était vraiment grave : j’ai vu des tas de films et jamais les séparations ne se passent comme cela. Alors j’ai donné la valise ;
Olia Streiberg Je t’appelle demain.
Daniel Streiberg Mais ta voiture n’est pas là ?
Olia Streiberg Tu t’inquiètes de ça ?

C’est ce temps flottant, toujours entre deux, qui fait d’Hermann un conte venu de très loin, comme un rêve éveillé que les spectateurs vivraient en direct avec les personnages, à travers eux (car c’est bien leur point de vue qui est en jeu ici). C’est cette constante incertitude (passé/présent, vérité/fiction, récit factuel/vision subjective) qui nous permet de « croire » possible que le jeune Hermann ne vieillit pas…

NOTES POUR UNE SCÉNOGRAPHIE D’HERMANN : L’ESPACE DE LA MÉMOIRE

Cet entrebâillement, qui permet au passé de faire irruption dans le présent et à l’impossible de venir bouleverser la tranquille ordonnance du quotidien, doit être l’enjeu même d’une scénographie pour Hermann qui, loin de tout réalisme, réclame un espace mental pour se déployer.

Il est beaucoup ici question de portes, le plus souvent mal fermées (qui permettent à Léa de reconnaître la voix d’Hermann puis d’entrer chez Daniel Streiberg, ou à Hermann et Olia de se retrouver enfin). Ou de fenêtres ouvrant sur l’extérieur, sur l’espoir d’une autre vie (Hermann puis Olia, internés tour à tour à l’hôpital, passeront leurs journées assis devant une fenêtre à attendre que l’être aimé vienne enfin l’en arracher). Bref : la fermeture d’un mur ; et la possibilité de s’en échapper grâce aux portes et fenêtres qu’il suffit d’ouvrir…

Imaginons un simple mur de couloir, percé de plusieurs portes fermées : couloir de l’hôpital où tout démarre et où tout a démarré, couloir aussi de l’entrée chez Daniel Streiberg. Ce mur serait d’abord très devant, face public, bouchant l’espace, coinçant à l’avant-scène les personnages tenus de s’expliquer aux spectateurs-enquêteurs (l’adresse directe au public sera d’ailleurs quasi systématique dans le spectacle : c’est à lui qu’on raconte cette histoire improbable, c’est avec lui qu’on essaie de percer le mystère d’Hermann !).

Soudain, une porte s’entrouvre, et tout bascule ailleurs : dans le passé, dans la mémoire, dans la folie aussi. Le mur opaque devient-il soudain transparent, révélant « l’autre côté du miroir » ? Mais le mur pourra aussi doucement reculer, glisser silencieusement vers le « lointain » : alors se dévoile un espace immense (chambre d’hôpital ou bureau médical bien trop grands - comme dans les rêves…). Ou alors ce mur peut soudain se disloquer, se fendre et se défaire en plusieurs morceaux, comme si le réel se fissurait, ouvrant sur d’autres espaces mentaux, d’autres temporalités qui glissent les unes dans les autres avec la fluidité du rêve…

Ce mur porte-il la trace d’espaces « réels » (couleurs aseptisées de l’hôpital ou papier peint de la villa bourgeoise…) ? Ces suggestions d’espaces quotidiens pourraient aussi se superposer, se fondre l’une dans l’autre (par projections vidéo ?). La suite du travail avec le scénographe Raymond Sarti nous le dira…

Plus que du son, Hermann réclame de la musique (ce qui sera nouveau pour le metteur en scène que je suis). Parce que, plus « l’enquête » avance, plus on y parle, et plus le mystère se creuse. Et la musique est justement ce qui échappe aux mots. Elle permet d’évoquer, d’invoquer ce qui est irréductible au langage et à la rationalité (l’amour, déjà…).

La musique est aussi du temps, mais un temps non chronologique, qui se construit plutôt par strates, par jeu d’échos et de souvenirs, par répétitions du même et du toujours différent (la « variation ») : la musique est du temps sensible, intérieur, mental – et cela est la matière même d’Hermann.

Sébastien Quencez, qui compose autant pour la scène musicale, théâtrale que pour l’image (cinéma, vidéo), sait parfaitement se glisser entre les mots et densifier le silence grâce à sa musique. Il saura rendre perceptible cette question obsédante qui sourd en chaque personnage, ce « thème » récurrent qui revient du fond de la mémoire et fouille les corps et les coeurs.

La Russie est très présente dans la pièce : à travers Olia et Hermann, leur accent chantant, leurs mots russes qui s’échappent soudain. La Russie est le lieu de leur amour : à la fois le paradis perdu et l’horizon qu’ils espèrent atteindre en voiture pour tout recommencer à zéro… Cette Russie rêvée, fantasmée, « éternelle », devrait aussi inspirer l’espace sonore d’Hermann (dans les timbres comme les mélodies).

Sébastien Quencez travaille souvent pour la radio et a composé pour diverses dramatiques de France-Culture, notamment : or, il y a quelque chose de « radiophonique » dans Hermann, dans la puissance d’évocation de ces voix qui, à elles seules, font rêver et voyager… Sera-t-il opportun à cet égard d’utiliser des micros HF pour permettre aux acteurs une plus grande intériorité ? A suivre…

Claudine Charreyre, Sortie de l’ENSATT en 2005, elle y a travaillé notamment avec Philippe Delaigue, Christian Schiaretti, Emmanuel Daumas, Christian Von Treskow… Elle est formée au chant par Mme Molmerret et Mme Merle. Au théâtre, elle joue et chante sous la direction de J-M Ribes dans l’opéra bouffe René l’énervé et de Jean Lacornerie dans Bells are ringing. Elle a co-composé la musique des Psychopompes qu’elle chante en live, mise en scène de G.Granouillet. Sous sa direction , elle a aussi joué Un endroit où aller et Naissances. Elle a créé un récital de poésies d’après Louis Aragon et Léo Ferré : Je chante pour passer le temps, et un groupe de rock « Grace Lee ». Elle travaille avec la compagnie de cirque La mondiale Générale depuis 2006 en tant qu’interprète et chanteuse. En 2019/20, elle joue Martien Martienne de L.Fréchuret, adapté des Chroniques Martiennes de Bradbury avec les PCL de Lyon. En parallèle, elle écrit une autofiction graphique avec le dessinateur Alexandre Girard, ayant pour point de départ une relation amoureuse avec Superman. En 2021, elle jouera sous la direction de François Rancillac dans « Hermann » de G.Granouillet.

Daniel Kenigsberg, Comédien, il travaille au théâtre depuis quarante ans. Daniel travaille actuellement avec Bernard Bloch en création de La situation, Cherchez la Faute ! de François Rancillac (tournée) C’est la vie de Mohamed El Khatib (en tournée).Il a participé à de nombreuses aventures en compagnonnage, sous la direction, de Frédéric Constant, de Stéphane Valensi, de Cendre Chassane, de Christian Schiaretti, d’Olivier Balazuc, de Gilberte Tsaï, de Serge Valetti et Jean-Christophe Bailly, L’impromptu création collective, et Ciceron et l’art de la mémoire de Daniel Kenigsberg, de Michèle Heydorff : Biedermann et les incendiaires de Max Frisch ,de François Rancillac : La Nuit au cirque d’Olivier Py ,de Alain Ollivier, de Philippe Berling : Le Jouvet d’une illusion d’Alain Gerber et La Petite Catherine de Heibronn de Kleist, de Louis Charles Sirjacq : Léo Katz et ses oeuvres de Louis Charles Sirjacq, deThierry Roisin : Montaigne ,de Jacques Rosner : Iphigénie hôtel de Michel Vinaver ,de François Verret : Fin de parcours , et de Pierre-Alain Chapuis, Hervé Tougeron, Thierry Bedard, Alain Behar, Vincent Collin, Catherine Diverres, Mathilde Monnier, Anne Torrès ,Jean-Claude Fall, Richard Foremann, Caroles Miles, Pierre Friloux, Françoise Gedanken, … Au cinéma, il a tourné sous la direction de Alexandre Charlot , Franck Magnier Ounie Leconte, Christopher Thomson, Régis Wargnier, Serge Moati, Sophie Marceau et Patrice Leconte. A la télévision il a tourné récemment avec Olivier Schatzki Série Maupassant, et Quand la guerre sera loin, Serge Moati De gaulle, l’autre guerre Pascal Chaumeil Peut mieux faire Olivier Guignard Un village français. A France Culture il participe régulièrement au Cours de l’histoire, une émission de Xavier Mauduit, et de nombreuses fictions. Il est la voix française de Yoda.

Lenka Luptáková, bruxelloise d’adoption, est une artiste slovaque, polymorphe et polyglotte. Après des études scientifiques en Slovaquie, elle bifurque et intègre les Beaux-Arts de Rennes. Son travail de plasticienne-performeuse questionne le concept de la désobéissance urbaine et sonde l’ambiguïté entre le documentaire et la fiction. Par la suite, elle s’oriente vers le théâtre en intégrant notamment l’ERAC, École régionale d’Acteurs de Cannes (2004-2007). En tant que comédienne et danseuse, elle travaille ou a travaillé pour différents metteurs en scène et chorégraphes, entre autres :Jean-Pierre Vincent, David Lescot, Bertrand Bossard, Charlie Degotte, Victor Hugo Pontes, l’IRMAR, Baptiste Amman, Viera Dubačová, Maroš Rovňák, Mathieu Bertholet, Hélène Soulier, Nicole Mossoux, Patrick Bonté et François Rancillac. Parallèlement, elle développe ses projets en tant que conceptrice/interprète, initiant divers collaborations sous l’identité de FRACTALESFRANGYNESRADIO – FFR, projet pluridisciplinaire post-féministe. Elle écrit, compose et joue des protocoles destinés au direct, à la fois radiophonique et scénique. Elle mène également une réflexion autour du langage en tant que traductrice littéraire.

Clément Proust, Clément Proust découvre le théâtre au lycée en 2012 par le biais de la compagnie du Chewing et de Nicole Pougheon auprès de qui il suit des ateliers pendant 2 ans. En parallèle, il co-crée l’association In Carne avec laquelle il joue dans la création Ce Qu’il Nous Reste mise en scène par Mélina Despretz. Il se forme par la suite dans les conservatoires parisiens du 10ème arrondissement aux côtés de Joséphine Sourdel puis du 14ème aux côtés de Nathalie Bécue-Prader. Il intègre au même moment l’association 1000 visages qui a pour but de démocratiser l’accès au monde du cinéma. Il y suit les ateliers de jeu d’acteur auprès de Karim Ben Haddou. C’est grâce à cette association qu’il rencontre en 2019 François Rancillac qui crée le Collectif Ephémère composé de jeunes de 1000 visages et de jeunes de conservatoires parisiens dans le but de monter la pièce de Falk Richter, Electronic City jouée au Théâtre de l’Aquarium.

Gilles Granouillet voit le jour en 1963 à Saint Etienne où il vit toujours. Autodidacte issu d’un milieu ouvrier, il rencontre la pratique théâtrale assez tardivement à travers les cours du soir de la Comédie de Saint-Étienne. Il fonde la compagnie Travelling théâtre avec laquelle il signera de nombreuses mise en scène mais c’est en temps qu’écrivain de théâtre que son travail sera reconnu. Gilles Granouillet est l’auteur d’une trentaine de pièces toutes éditées, principalement chez Actes Sud, l’Avant scène et Lansman éditeur. Ses textes ont notamment été mis en scène par Guy Rétoré, Gilles Chavassieux, Carole Thibaut, Christoph Diem, Jean Claude Berutti, Philippe Adrien, François Rancillac, Jacques Descorde, Patrice Douchet, Magali Leris. Il collabore régulièrement avec France-Culture pour des dramatiques radiophoniques. Il a également été joué en Allemagne, au Chili, Au Luxembourg en Belgique et en Suisse, en Roumanie, en Grèce, en Ukraine, et au Québec. Il est aujourd’hui auteur associé au CDN de Montluçon.

François Rancillac. Metteur en scène, il monte depuis 1985 des auteurs aussi divers et variés que Racine (Britannicus), Christian Rullier (Le Fils), JMR Lenz (Le Nouveau Menoza), Pierre Corneille (Polyeucte, Place Royale), Jean-Luc Lagarce (Retour à la Citadelle, Les Prétendants, Le Pays lointain, Music Hall, Nous les héros), Jean Giraudoux (Ondine, La Folle de Chaillot), Edmond Rostand (L’Aiglon), Jean-François Caron (Saganash), Molière (Amphitryon, George Dandin), Olivier Py (La Nuit au Cirque), Hanokh Levin (Kroum, l’ectoplasme), Rémi de Vos (Projection privée), Jonathan Swift (Modeste proposition concernant les enfants des classes pauvres), Marie Balmary (Cherchez la faute !), Eschyle (Les sept contre Thèbes), Max Frisch (Biedermann et les incendiaires), Michel Marc Bouchard (Papillons de nuit), Gilles Granouillet (Zoom, Nager, cueillir, Ma mère qui chantait sur un phare), Jean Giono (Le bout de la route), Victor Hugo (Le roi s’amuse), Sophie Calle (Détours, d’après Suite vénitienne), Elizabeth Mazev (Mon père qui fonctionnait par périodes culinaires et autres), Rasmus Lindberg (Le mardi où Morty est mort), Lucie Depauw (Garden Scene – pour le Festival de caves, Besançon), F. Rancillac (L’Aquarium, d’hier à demain), etc. Il aborde le théâtre musical avec Serge de Laubier (La Belle porte le voile) et Richard Dubelski (Une jure, l’autre pas), le lyrique avec Bastien, Bastienne... suite et fin., opéra imaginaire d’après Mozart, Athalia, oratorio de Haendel, Soliloque de Michel Baron à Mr Molière sur les musiques de Marc-Antoine Charpentier pour Le Malade imaginaire (Ensemble Akadêmia), Orfeo par-delà le Gange d’après Monteverdi (création à New Delhi, Philarmonie de Paris, Opéra de Reims et Arsenal de Metz – Ensemble Akadêmia), La tectonique des nuages, opéra-jazz de Laurent Cugny (Opéra Nantes-Angers). Fondateur (avec Danielle Chinsky) de la compagnie « Théâtre du Binôme » (1983), François Rancillac a également assuré la direction artistique du Théâtre du Peuple de Bussang de 1991 à 1994 (dont il est actuellement le président). Il a été artiste associé au Théâtre de Rungis de 1992 à 1994, à l’ACB/Scène Nationale de Bar-le-Duc de 1996 à 1999, et au Théâtre du Campagnol/CDN (2000/01). De janvier 2002 à mars 2009, il co-dirige avec Jean-Claude Berutti La Comédie de Saint-Etienne/CDN. Il dirige ensuite depuis le Théâtre de l’Aquarium, à la Cartoucherie (Paris), qu’il quitte fin décembre 2018, pour poursuivre son aventure avec sa nouvelle compagnie, Théâtre sur paroles.

Rancillac parle de cette pièce (dont je ne vous ai pas dévoilé tous les ressorts) comme d’un conte. Un conte en milieu hospitalier, il fallait oser le faire, Grenouillet l’a fait, et Rancillac, avec un team au jeu efficace, a bien mis en scène le vacillement du temps qui est l’épine dorsale de la pièce. Jean-Pierre Thibaudat | Mediapart

La mise en scène solide de François Rancillac nous fait vivre ce récit palpitant à la façon d’un film que l’on projetait naguère sur un écran. Saluons la performance de ces comédiens qui sont tous excellents. Ce conte de fée traduit notre rêve le plus cher : voir le réel heurté de plein fouet par une soif absolue d’amour. S’il y a une chose qui nous rend à chaque instant plus humain, c’est bien cette recherche effrénée de l’amour. Alors s’il est permis de rêver, il ne faut pas hésiter à tordre quelque peu la réalité. Hermann en est la parfaite illustration ! Laurent Schteiner | theatres.com

Alors que treize ans s’écoulent au long du récit, que les personnages vieillissent et se transforment, il reste égal à lui-même, d’une jeunesse éternelle dans un monde qui s’use. Comme le symbole de la folie absolue de l’amour, irréconciliable avec la vie ? ou comme une abstraction, un concept, confrontés à la réalité concrète ? La pièce ne tranche pas. Et, même si l’on peut penser que moins de schématisme, un trait moins forcé dans la conception des personnages aurait permis d’enrichir le propos, l’ensemble constitue avec sa mise en scène impeccable, sa scénographie très fine et ses éclairages soignés et signifiants, un beau moment de théâtre, qui ne manque pas d’engendrer la réflexion… Sarah Franck | Arts-chipels.fr

Un joli spectacle de conte à la fois grave et lumineux, servi par un beau quatuor de comédiens, sur l’amour de la vie, celui du passé et de sa survivance dans la mémoire. Véronique Hotte | Hotello

Dans ces temps de disette émotionnelle, la proposition faite par François Rancillac à partir du beau texte faussement naïf de Gilles Granouillet est réjouissante. On sent que les comédiens s'y sont engouffrés sans rechigner, rendant évidentes toutes les aspérités d'une parole bien plus complexe qu'il n'y paraît. Si l'on aime le théâtre, quelle que soit la connaissance de l'art dramatique que l'on peut revendiquer, on reçoit rapidement l'information : il faut accepter totalement de se mettre en route pour devenir partie prenante de cette quête aléatoire. Pas besoin d'en dire plus. Là où on arrivera, il n'y aura ni regrets ni réticences. Simplement, le plaisir d'une représentation théâtrale qui a atteint parfaitement son but. Philippe Person | froggydelight.com

Cette belle mise en scène et ces très bons interprètes nous font entrer dans ce conte avec l’esprit émerveillé d’un enfant, mais avec ce qu’il faut de mystère, d’amour, de souffrance pour entraîner les adultes que nous sommes. Micheline Rousselet | FSU

Le quatuor est très bien accordé. Quatre personnalités intéressantes, qui nuancent et s’entendent. Claudine Charreyre, avec sa sensibilité profonde et sa luminosité, Lenka Luptakova avec son autorité et ses irisations, Clément Proust avec son charme et sa manière d’échapper, Daniel Kenigsberg avec cette présence tout en délicats détails. Bref, que ce spectacle vive ! Que les théâtres rouvrent enfin ! Le Journal d'Armelle Héliot