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saison 2019/2020

MARDI 26 NOVEMBRE 20H
durée 1h
GRANDE SALLE
tarif A
DANSE
dès 12 ans

AUTOUR DU SPECTACLE
scène ouverte

Scala

CONCEPTION YOANN BOURGEOIS
LES PETITES HEURES

Une danse électrique où prise de risque et maîtrise du geste se tiennent à l'équilibre dans une série époustouflante de réactions en chaîne !

Imaginez une phrase qui commence… et sans ponctuation une fois élancée, ne puisse plus s'arrêter, une phrase déséquilibrée, fluctuante et altérée, une phrase comme un domino / cascade… Imaginez un homme, soudain à la place de cette phrase, un homme fugue de sa première à sa dernière seconde, tombant, dégringolant, se rattrapant, accélérant… homme manipulé, coincé dans la machine d'une domestication plus grande que lui, dans un monde disproportionné de rouages d'escaliers, de trappes, de tourniquets…
Acrobate, danseur et metteur en scène, Yoann Bourgeois nous livre une pièce à l'énergie débordante, dans un décor du quotidien où se dissimule son agrès de prédilection, le trampoline. Ici table, chaise, lit, porte, escalier (scala en italien) sont embarqués avec sept danseurs dans une mécanique millimétrée, incontrôlable et survoltée. Dans la continuité de ses recherches sur la fragilité humaine, aux frontières entre équilibre et déséquilibre, Yoann Bourgeois explore la gravité. Il joue avec « le point de suspension », ce moment furtif où un corps lancé en l'air atteint le sommet de la parabole, juste avant la chute. Un spectacle radicalement physique, une prouesse esthétique et technique aux croisements de la danse, du théâtre et du cirque.

« Yoann Bourgeois, petit prince circassien, est devenu une valeur sûre des scènes. (…) L'art de Bourgeois se joue des éléments comme de la gravité… Il aspire à défier les airs… La danse semble s'infiltrer dans ses rêveries spectaculaires avec la plus désarmante grâce. Logique pour cet interprète passé chez Maguy Marin – il dansa May B, le chef-d'œuvre de la chorégraphe. » Les échos

Conception, mise en scène et scénographie Yoann Bourgeois. Assistante artistique Yurie Tsugawa. Lumières Jérémie Cusenier. Costumes Sigolène Petey. Son Antoine Garry. Réalisation des machines Yves Bouche et Julien Cialdella. Conseil scénographique Bénédicte Jolys. Direction technique Albin Chavignon. Avec Mehdi Baki, Jatta Borg, Emilien Janneteau, Olivier Mathieu, Camille Revol, Lucas Struna. Régie générale François Hubert. Régie plateau Bartosz Pozorski. Régie lumières Virginie Watrinet. Régie son Tania Wolk ou Olivier Mandrin.

Production : Les Petites Heures, La Scala-Paris. Coproductions : Théâtre de Namur, Printemps des Comédiens – Montpellier, Théâtre National de La Criée – Marseille, CCN2– Centre chorégraphique national de Grenoble, Célestins –Théâtre de Lyon, Le Liberté – Scène nationale de Toulon, Mars – Mons arts de la scène, Théâtre National de Nice.

© photo : Géraldine Aresteanu

Site de la compagnie

Réactions en chaîne

Imaginer une phrase qui commence et sans ponctuation une fois élancée ne puisse plus s'arrêter une phrase déséquilibrée une phrase précipitée dégringolée dégringolante fluctuante et altérée par une série de réactions en chaîne une phrase comme un domino cascade une phrase fugue une phrase rebelle s'émancipant cherchant à s'émanciper ou simplement s'enfuir de sa forme de phrase traditionnelle de phrase communicante une phrase emballée s'emballant rebelle rétive et répétitive variant comme une ligne mélodique comme un domino cascade où un homme tout à coup imaginer un homme oui un homme à la place de cette phrase homme fugue de sa première à sa dernière seconde par une série de réactions en chaîne par une série de rebondissements cet homme imaginé cet homme tombant dégringolant se rattrapant roulant rebondissant glissant courant accélérant homme catastrophe oblique penché précipité ne pouvant plus s'arrêter homme manipulé homme mu coincé dans la machine d'une domestication plus grande que lui dans ce monde disproportionné de rouages de forces de poulies d'engrenages d'escaliers de portes de trappes de tourniquets imaginez.

Yoann Bourgeois – décembre 2017

SCALA est un spectacle de théâtre conçu par un artiste de cirque. C'est une nuance qui a son importance. La notion de théâtralité, au coeur de ma démarche, est envisagée sous un angle radicalement physique. Voilà maintenant 8 ans que nous approfondissons une théâtralité singulière qui trouve, ou cherche, ses origines dans une matière, il me semble, circassienne. Ce statut particulier de la présence, je l'ai nommé : «l'acteur-vecteur».

La matière que je nomme circassienne est une mise en relation du couple : corps/force. S'intéresser à cette force première qu'est la gravité présente soudain l'homme sur le même plan que l'objet, car tous les deux y sont soumis, de la même manière. C'est ici que se noue ma recherche : donner enfin une représentation de l'homme et que celui-ci ne soit plus « au centre ». C'est pourquoi dans mon théâtre, l'homme est davantage vecteur qu'acteur. Ce statut singulier de l'homme est pour moi une source inépuisable de drame : l'homme traversé. Il est aussi foyer d'émerveillement.

Cet homme est né en Grèce au VIe siècle avant J.C. Il inaugura la tragédie. On le retrouve plus tard accroché sur un trapèze, chez Gordon Craig et sa surmarionnette, dans la biomécanique de Meyerhold, parcourant certaines pages de Nietzsche ou les plus belles de Kleist. De mes études dans les écoles de cirque, je garde cette sensibilité pour l'homme traversé mais je lui retire sa toute puissance. C'est sans doute même au contraire sa fragilité que je souhaite étudier. De toutes les choses que j'avais apprises au cirque et qui se trouvaient jusque-là inextricablement liées au système de la surenchère, sédimentées dans des figures plus ou moins complexes, je choisissais de les penser et de les renommer comme : motifs. Je commençais à écrire.

A la manière d'un sculpteur, je travaillais ma matière en cherchant à la simplifier, pour la rendre lisible et qu'à travers elle, soit perceptible les forces. Dans ce jeu des forces qui traversent l'acteur, je cherche à atteindre un point de suspension. Le point de suspension est une expression de jongleur pour dire ce moment furtif où l'objet qu'il a lancé en l'air atteint le sommet de la parabole, juste avant la chute. J'ai pour passion la quête de ce point idéal, débarrassé de poids : instant de tous les possibles.

Ce goût pour le plan mécanique dans le théâtre trouve ses racines dans la recherche d'une écriture polysémique. Je cherche ces foyers où des sens multiples, tout à coup, prolifèrent. J'utilise l'outil chorégraphique pour sculpter des motifs dans le temps. La musique est alors devenue une manière de traiter cette matière. La musique étant sans doute, elle aussi, plus apte à ouvrir le sens. Aujourd'hui, je souhaite radicaliser mon projet en imaginant une pièce où l'homme, de la première à la dernière seconde du spectacle, sera agi par une somme de machines.

Un jeu entre le contrôle et la chute impose une prise de risque, tant physique qu'esthétique. Il exhibe une instabilité du corps et des objets qui renvoie à un mode de vie précaire et aussi au statut fragile de l'art. Et cela comme processus artistique délibéré, assumé. C'est par cette modalité d'expression du déséquilibre que se fonde l'esthétique du risque. L'oeuvre sera composée par la référence répétée de certains motifs physiques, sonores, progressant et s'intensifiant par des variations, conférant une tension, une expressivité particulière, permettant de prendre la mesure de cette prouesse et poétique de l'abandon. C'est cette référence répétée de certains motifs physiques, sonores, qui laissera apparaître une structuration cyclique de l'espace et du temps.

Nous construisons des machines composées de deux éléments : un objet quotidien associé à un mécanisme. Ces machines seront des moyens de matérialiser le processus de l'imaginaire par la perturbation, la déformation d'une image première. Cette grande machinerie, dans la boîte du théâtre, pourra être vue comme un paysage mental.

Notre scénographie est un espace domestique composé d'un ensemble de machines* qui manipulent mécaniquement le corps de l'acteur. Ces dispositifs produisent du mouvement à la place de l'acteur, dans un grand mouvement continu de réactions en chaîne, comme un domino cascade. Ce qui m'anime avec ces matières que je dis « circassiennes » c'est qu'elles mettent le corps en relation avec les forces physiques, et cette relation-là me semble une source inépuisable de drame. L'intérêt de ces machines consiste en un nouveau statut de l'acteur présenté comme vecteur.

* Une machine sera composée de deux éléments : - un objet quotidien (table, chaise, lit, porte, escalier, luminaire...) - un mécanisme (poulie, tournette, électro-aimants...)

L'association de ces deux éléments détournera l'utilisation ordinaire de l'objet par l'injection d'une force particulière (gravité, force centrifuge...). Ces contraintes physiques élémentaires sont à l'origine du mouvement et le sens vient de cette lutte, ce corps à corps entre tel homme et telle force. C'est ce que j'ai essayé d'écrire depuis les premières esquisses dans mon travail, depuis La Fugue trampoline. Etant dans un processus de création permanente, j'avance en déclinant des principes, autour de motifs, dans une variation continue d'objets scénographiques. Et voilà quelques années que je rêve d'un spectacle dont la dramaturgie reposerait uniquement à partir du continuum des phénomènes physiques, par une somme de réactions en chaine. Visiter la Scala en chantier a fait naître en moi la vision d'une pièce qui montrerait le spectacle d'une structure. Chaque histoire repose sur de fragiles édifices qu'on essaye de mettre en équilibre. Visiter la Scala a fait naître en moi le rêve d'une pièce fragile courant à toute allure le long d'un fil continu, faisant affleurer des situations sans jamais pourtant les fixer.

Acrobate, acteur, jongleur, danseur, Yoann Bourgeois est avant tout Joueur. Il grandit dans un petit village du Jura. A l'école du Cirque Plume, il découvre les jeux de vertiges. Plus tard, il sort diplômé du Centre national des arts du Cirque de Châlons-en-Champagne qu'il aura traversé en alternance avec le Centre national de Danse Contemporaine d'Angers. Il collabore avec Alexandre Del Perugia et Kitsou Dubois pour des recherches en apesanteur. Il devient ensuite artiste permanent du Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, compagnie Maguy Marin, où il oeuvre pendant quatre années autour de l'incessante question de « l'être ensemble ». Après les reprises de May B et Umwelt et deux créations, Turba en 2007 et Description d'un combat en 2009, il entame en 2010 son propre processus de création. Avec ses complices, c'est à Grenoble où il est né qu'il choisit de vivre pour implanter sa compagnie naissante avec l'intention d'approfondir dans un travail de recherche permanente les liens secrets entre jeux de simulacre et jeux de vertige. La MC2: Grenoble lui confie le soin d'investir le Belvédère Vauban, haut perché sur la ville. Cette création in-situ donne Cavale. Ce duo se joue des plus impressionnants panoramas, et suscite, par le vertige, une dimension éternelle de l'éphémère. Un premier cycle de création s'amorce alors autour de grandes oeuvres musicales pour travailler la « figure » (élément classique de l'écriture circassienne) dans une indiscernable proximité avec le « motif », et permettant à cette nouvelle écriture du cirque de s'émanciper de la tyrannie toute puissante du « spectaculaire ». Ce cycle fait naître en 2010 Les Fugues (petites danses spectaculaires pour un homme et un objet écrites précisément sur L'Art de la fugue de J.S. Bach) ; en 2011 L'Art de la Fugue (déconstruction d'un bloc de matière monolithique par deux acteurs, un homme et une femme, parallèlement à l'interprétation, en vis-à-vis, de l'oeuvre éponyme de Bach) ; en 2012 Wu-Wei (création pour des artistes de l'Opéra de Pékin inspirée par la pensée taoïste du « non-agir »). Cette même année, la compagnie inaugure le C.I.R.C (Centre international de recherches circassiennes) par ses nombreux voyages en Chine pour établir une généalogie du geste acrobatique. 2013 est une année de transition où il initie un programme inédit de transmission de ses pièces dans les écoles supérieures de cirque. Convaincu que les artistes de cirque doivent se réapproprier leurs histoires, ce projet soutenu par la SACD vise à réfléchir aux conditions d'apprentissage du cirque pour que l'émergence d'un répertoire puisse avoir lieu. En 2014, un second cycle de créations vise à radicaliser son geste artistique. Il approfondit la dramaturgie dans son sens étymologique : un tissage des actions. Par une écriture singulière du cirque, s'affirme en lui un intérêt tout particulier pour la relation corps/force comme source inépuisable de drame. Cette recherche fait naître Celui qui tombe, pièce pour six interprètes, créée en septembre 2014 à l'Opéra de Lyon pour la Biennale de la danse. En 2014 toujours, une invitation du Théâtre de la Ville à investir le Théâtre des Abbesses à Paris l'encourage à inventer une dramaturgie originale pour mettre en scène la « constellation » de courtes pièces du répertoire. Minuit se définit alors comme un programme dont l'écriture in-situ tient compte des espaces et des possibilités techniques du théâtre d'accueil. Chaque nouvelle édition varie selon les artistes invités et les matériaux en provenance des nouvelles formes en cours. En 2015, il entame une nouvelle recherche autour des Tentatives d'approches d'un point de suspension avec la conception de huit agrès à la scénographie circulaire ou intégrant la possibilité d'un point de vue à 360°. Ces nouvelles courtes pièces s'ajouteront aux existantes pour les créations de Numéros Poèmes, une collection de onze objets poétiques. Depuis le 1er janvier 2016, il codirige le CCN2 - Centre chorégraphique national de Grenoble avec Rachid Ouramdame.

Corps en flottaison (magie du trampoline), décomposition du mouvement, mobilier déformable et rembobinable à volonté … On retrouve dans Scala les obsessions du metteur en scène : un défi aux lois de la gravité, un écoulement circulaire du temps. L'Express, 2018

Dans Scala, Yoann Bourgeois reprend le fil de ses réflexions sur l'équilibre et le vivre-ensemble. Le décor est fait d'escalier, trappes et autres trampolines. Les interprètes jouent avec une agilité confondante de cette scénographie piège. Les Echos, Philippe Noisette, 2018

L'effondrement des objets et accessoires chez Yoann Bourgeois dialogue avec le motif de la chute. Pour celui qui aime évoquer la gravité comme une source illimitée de drames, impossible de résister à l'attraction du sol. Le Monde, Rosita Boisseau, 2018

La chorégraphie des corps y rejoint des sensations métaphysiques. Virtuosité et rêve ne font plus qu'un. Sisyphe n'est pas loin, avec son rocher. On en a des frissons rien que d'y repenser. Marie Plantin, Pariscope, 2018