Italie – Brésil 3 à 2

TEXTE DAVIDE ENIA
MISE EN SCÈNE ALEXANDRA TOBELAIM
COMPAGNIE TANDAIM

5 juillet 1982. 17h15. Barcelone. Estadi de Sarrià. Quart de finale de la Coupe du monde : Italie - Brésil.

Dans un rythme effréné et enjoué, le comédien Solal Bouloudnine et le musicien Jean-Marc Montera nous font revivre ce match mythique remporté par l’Italie. Minute par minute, le comédien mouille le maillot et interprète tous les personnages de cette histoire : une famille de Palerme suspendue au nouveau poste de télévision couleurs acheté pour l’occasion, partagée entre rites, superstitions, exaltations, dépressions, imprécations et dévotion(s)…

« Ce quart de finale de la Coupe du monde 82 montre tout ce que le football draine derrière son simple ballon : force unificatrice, puissance affective, scénario hypnotique qui chloroforme les autres enjeux. ITALIE-BRESIL 3 À 2 brasse de l’émotion pure » TÉLÉRAMA (TT)

WEEK-END FOOT !

Football et mythes
Comprenons autrement ce mouvement populaire qu'est  le football ! Echanges passionnés, fédérateurs ou dangereux, idée de performance "à tout prix", dramaturgie mythique, autant d'inscriptions dans l'histoire de ce sport, abordées durant 4 jours à DSN, à travers le spectacle vivant et le cinéma ! 
Des tarifs spéciaux s’appliquent sur ces spectacles. Il est également possible de prendre une formule incluant les 3 spectacles (voir tarifs spéciaux).



VIDÉO

 

Première mi-temps
Ce projet commence en septembre 2010 par une lecture mise en espace dans le cadre d'Act'oral et de Face à Face - l'un est un festival qui promeut les écritures contemporaines, l'autre fait un pont entre les écritures théâtrales françaises et italiennes. Une lecture, mise en espace qui rencontre un public – heureux – et qui aboutit aujourd'hui à un spectacle. Au début, ce texte m'a déroutée, pourquoi donc écrire, retranscrire un match de foot minute par minute ? En dehors de la passion que l'on peut avoir pour le foot, est-ce que cela peut faire théâtre ? La réponse est oui, trois fois oui. Le théâtre est partout, il transpire. Dans la langue, une langue ultra-rythmique à la limite de la versification (pour tout ce qui concerne les actions sur le terrain) et qui nous immerge dans les enjeux, le suspens du match, et cela que l'on aime ou pas le foot. Dans les rituels, les à-côtés du match. Nous sommes avec cette famille palermitaine – au complet – qui regarde le match. De l'enfant, à l'oncle en passant par les voisins chacun a son rituel pour déjouer le mauvais sort et même plus pour « provoquer » la victoire. Cette écriture possède un immense pouvoir évocateur. Italie-Brésil nous plonge instantanément le 5 juillet 1982 à Palerme. A partir de là, notre travail avec Solal Bouloudnine et Jean-Marc Montera est un travail de passeur. Donner à voir ces images. Faire sentir cette canicule, ces 90 tasses de café bues pendant le match, les 180 Nazionali sans filtres fumées, les 3282 caresses della Mamma, les 272 « Oh ! Con » del Padre.

Deuxième mi-temps
Je n'ai jamais été très sensible au football, je n'en connais pas les règles, mais l'espace de partage en famille, entre ami ou voisin de table dans un bar que propose un match m'étonne et me fascine. Autant que le match lui-même, c'est évidemment cela qu'il s'agit aussi de mettre en scène. L'écriture de Davide Enia participe grandement à mon intérêt pour ce match d'Italie-Brésil. Mais également parce que ce match comporte une particularité propre au sport : le suspens. Et le suspens sied très bien à la représentation théâtrale. En effet, lorsqu'on entre dans la salle de spectacle, on sait parfaitement qu'à l'issue du match, le résultat sera : Italie 3 / Brésil 2. Et pourtant, et pourtant, on frise la crise cardiaque avec Solal et toute la famille sicilienne à chaque action. La victoire se joue là, maintenant, au moment de la représentation et non en 1982, il y a trente ans. Tout repose sur l'équipe sur le plateau : Solal Boloudnine et Jean-Marc Montera. Bien plus que dans mes autres créations. La balle est au plateau, sans artifice. Un acteur, un musicien passeur de ce texte, de ce match, de cette famille parlemitaine, de ce 5 juillet 1982. Passeurs du suspens comme je le disais plus haut, mais aussi passeurs de partage, de communion avec cette famille (famille élargie), son unité, son dévouement dans ce moment-là, pour cet enjeu là : La Victoire. Ne faisons pas d'analogie trop rapide avec le théâtre, mais que pensez-vous de cela : Le football c'est : jouer, regarder, transmettre. Le goût du football se nourrit, d'abord, de ces trois plaisirs. Avant celui des victoires.
ALEXANDRA TOBELAIM

Le théâtre-récit ne se définit pas comme un théâtre pauvre. Mais la nécessité l’a porté aux origines du théâtre. Toute naissance est archaïque. Le théâtre-récit est une forme dramaturgique simple, portée par un acteur-auteur venu raconter une histoire. Décors et costumes y sont neutralisés: la scène et les vêtements sont sombres, c’est à dire sobres, l’éclairage réduit à l’essentiel. Une chaise est parfois le seul accessoire présent. L’attention du spectateur, si elle doit être, est portée sur l’acteur, sa parole et son jeu. Dans le théâtre-récit, la beauté, si elle doit être, jaillit de la simplicité. Dans le théâtre-récit, le risque naît de l’union de la parole et du sens. L’acteur-auteur doit trouver une bonne histoire. Ensuite, il doit chercher une bonne manière de la raconter. Matière mouvante, comme la vie. L’acteur-auteur est un artisan. L’acteur-auteur est un homme à tête d’homme. Son apparence n’importe guère, tant qu’il porte, comme chacun des spectateurs, un minuscule et fragile corps humain. Dans le théâtre-récit, l’acteur-auteur est la figure sous laquelle le juste se rencontre lui-même. Le corps de l’acteur-auteur est le corps d’un homme à tête d’homme. Il n’est pas un instrument, le pélerin d’autre chose. Il ne se montre pas.

Le théâtre-récit est fait par des gens sans uniforme. Ce n’est pas un théâtre politique, mais un théâtre civil. Le théâtre-récit n’est pas le théâtre-document. Le théâtre-récit ne se définit pas comme un théâtre populaire. Mais les histoires qu’il porte sont destinées à tous. À son tour, le spectateur redevient ce qu’il est: un homme à tête d’homme. Le théâtre-récit est tragique en ce qu’il dit l’irréparable d’une mémoire commune.

Le théâtre-récit est épique en ce qu’il relie le passé proche au futur proche dans le présent du récit. Il est épique au sens où l’historiographie est plus qu’une source d’inspiration, un point d’indifférence créatrice.

Le théâtre-récit fait parler les hommes entre eux. L’acteur-auteur porte en lui plusieurs voix. Plus tard, et même beaucoup plus tard, les spectateurs y joignent aussi la leur. Écrit, le théâtre-récit devient livre, alors qu’il n’est ni pièce ni roman. Enregistré ou filmé, il demeure un récit. Ce récit peut-être écouté, parfois, par des milliers d’auditeurs ou des millions de télespectateurs. Dit, il redevient ce qu’il est, à savoir du théâtre. Le théâtre-récit n’est assurément pas le seul moyen de faire du théâtre aujourd’hui. Mais dans son archaïsme même, sa simplicité sereine, son refus du spectacle, nul doute qu’il porte une nécessité à laquelle le public peut répondre aussitôt. Le public est plus mûr qu’on ne l’imagine, et la question n’est pas de savoir s’il est populaire ou non.

De ce soir-là, chacun se souviendrait d’une chose très simple, archaïque et oubliée: que durant une heure et longtemps par la suite, dans la mémoire et dans les mots échangés, on a pu retrouver ce que parler veut dire.
OLIVIER FAVIER – TRADUCTEUR D’ITALIE – BRÉSIL 3 A 2