 
          Lucia, la singulière fille de James Joyce…
— Cette pièce tourne librement autour de l'étrange relation entre l'écrivain James Joyce et sa fille Lucia. Celle-ci apprend la danse auprès d'Isadora Duncan puis abandonne cette pratique, tombe amoureuse du jeune Beckett, assistant de son père, qui la rejette. Elle se perd, est soignée par Jung, qui la déclare schizophrène, avant d'être internée. Joyce, écrivant Finnegans Wake, est persuadé qu'au terme de cette œuvre, Lucia retrouvera pleinement la raison. Dans l'esprit de son père, elle se confond avec son héroïne Anna Livia Plurabella. Son rêve : « elle deviendrait le livre fait de toutes les langues, de toutes les paroles mêlées, une danse du dedans ». 
— À l'origine de cette aventure singulière, une rencontre entre trois artistes : l'auteur Eugène Durif, le metteur en scène Éric Lacascade et la comédienne performeuse Karelle Prugnaud. Cette dernière, seule en scène, donne vie au personnage de Lucia. Elle incarne et désincarne avec force la densité poétique du texte, explorant des chemins artistiques aventureux, sous la direction audacieuse de son metteur en scène. Une expérience scénique bouleversante.
« Ce n'est pas tous les jours qu'on peut affirmer autant de respect et d'admiration devant un objet théâtral aussi brutal et raffiné que celui-là. » L'Humanité
Avec Karelle Prugnaud et Eugène Durif. Scénographie Magali Murbach. Lumières Mathieu Smagghe, Éric Lacascade. Son Sébastien Orlans.
Production déléguée : Compagnie Lacascade. Coproductions : Compagnie l'envers du décor, La Rose des vents – Scène nationale Lille Métropole – Villeneuve d'Ascq, DSN – Dieppe Scène Nationale. Avec le soutien du Théâtre de la Reine Blanche (Paris), du Théâtre Expression 7 (Limoges), du Liberté, Scène nationale de Toulon.
© photo : Simon Gosselin
« Par-delà les  travaux que je peux mener sur les scènes françaises et étrangères autour des  grands textes du répertoire, la recherche a toujours été pour moi un vecteur de  réflexion et de création. 
          En poésie, comme  en théâtre, elle ne connaît ni finalité ni limites. Elle est un temps où l'on  prend le temps de l'errance et de la dérive, elle surgit de manière nécessaire  ou contingente, elle est cet entre-deux qui ne se nomme pas et qui relie. C'est  ainsi que j'aborde ce Work in Progress sur Lucia Joyce. 
          La figure de  Lucia est absolument passionnante, tout autant que l'est l'écriture d'Eugène  Durif et le corps performatif de Karelle Prugnaud. 
          Une vie terrible,  un auteur en écriture sur cette vie terrible, une comédienne pour l'incarner et  la désincarner et une forme pour faire voir, entendre et ressentir. 
          Cette aventure  singulière, je la souhaite en partage avec l'auteur et la comédienne, je la  veux en mouvement. 
          Nous irons d'étape  en étape à chaque fois au plus près de la figure de Lucia, au plus près de nos  inspirations créatrices, instinctives sans lois préétablies. 
          Le premier  rendez-vous qui nous permet de nous rencontrer et de nous mettre au travail sur  le plateau sera à la Reine blanche au cours du mois d'avril. Au cours de  quelques soirées nous aurons le plaisir de partager avec le public l'avancée de  nos recherches. C'est une rencontre importante car le spectateur est bien  évidemment l'un des partenaires créatifs de notre recherche. » 
Eric Lacascade - metteur en scène
« Ma première  rencontre avec Joyce correspond à ma première tentative d'écriture théâtrale.  J'avais une vingtaine d'années, j'écrivais principalement de la poésie, et un  metteur en scène lyonnais, Bruno Carlucci, me proposa d'écrire une adaptation  de « Ulysse » de Joyce. Avec une belle inconscience je me lançais dans cette  aventure assez déraisonnable à posteriori... 
          Après un an de  travail, et avec l'aide de Jacques Aubert, immense autant que modeste spécialiste  de Joyce, je réussis à terminer cette pièce « Parcours Ulysse » qui ne fut  finalement jamais montée, mais constitua pour moi une entrée en matière  théâtrale assez déterminante. 
          Parallèlement à  cette tentative, il y eut la découverte d'un petit texte de James Joyce,  Giacomo Joyce, édité longtemps après la mort de l'écrivain, et traduit en  français chez Gallimard par André du Bouchet dans une édition aujourd'hui  disparue. 
          Pour boucler la  boucle, l'écriture d'un texte autour de la relation de Joyce et de sa fille  Lucia, qui fut danseuse, qui sombra dans la schizophrénie dans une relation  étrange, en lien et résonance avec son père en train d'écrire « Finnegans Wake  », cette histoire du monde qui s'origine dans l'infiniment particulier pour  retrouver l'universel dans un immense brassage des langues, des mythes, des  figures historiques, comme une langue énigmatique, jamais donnée, tressée de  toutes les langues et de toutes les variations possibles. Un « work in progress  » (ainsi nommé par Joyce), avec en fond, une ballade populaire bien connue en  Irlande « Finnegan's Wake » (orthographe différente), veillée (Wake) funèbre du  maçon Tim Finnegan, si joyeuse et arrosée que le défunt en sort de son sommeil  éternel. 
          Dans cette  fiction, je voudrais pénétrer dans le lien établi entre le père qui se refuse à  envisager la maladie de sa fille et la jeune femme . « Elle n'est pas une  délirante, explique-t-il, ce n'est qu'une pauvre enfant qui a voulu trop faire,  trop comprendre » 
          Tout cela se  passe dans une distance juste, impossible à trouver. Sur un sol foireux et  fissuré, dans une polyphonie d'éclaboussures blessées de son et de sens,  d'allitérations joueuses, de babillages d'avant Babel, de cheminement zigzagant  de mots valises, de calembours boiteux et fondateurs, de pépiements d'oiseaux à  défaut de leurs chants, de fragments à vif du monde déposés dans le limon de la  langue, de lamentations d'animaux, de mots pris arbitrairement pour d'autres,  de souffle et de cris rauques du vent, de bercements de nuit et de lumières  incompréhensibles ( et Ana Livia Plurabella a le sentiment de n'être qu'un «  feuillage qui parle ») 
          (Et dit quelque  part Artaud, « tout vrai langage est incompréhensible » …) 
          J'imagine Lucia  Joyce ne faisant qu'une avec Anna Livia Plurabella, télépathe forcenée  traversée par la confusion des langues. Et Joyce, presque aveugle se confond  avec la figure de Lear, se confond avec la figure d'OEdipe (dans ce rapport  aussi père/fille) 
          Parfois elle ne  sait plus si elle est Lucia, danseuse dont les gestes se sont arrêtés ou Anna  Livia Plurabella , la figure de « Finnegans Wake » 
          Acharnée à l'écoute de ce matériau monstrueux entrepris par son  père, y prenant part aussi, plus ou moins malgré elle. 
          Fille télépathe à  l'écoute des langues mêlées. Dans une pentecôte impossible ou serait mise à mal  la profusion des langues. Fille prophétesse, les langues la traversent et sous  l'écrit il y a la multiplicité des cris, et elle pourrait commencer à parler le  langage des oiseaux, cher aux alchimistes. Et les mots lui viendraient aux  lèvres comme par miracle, elle aurait traversé la nuit, une parole parlerait à  travers elle qui n'est pas la sienne, une parole de syncopes étouffées, et elle  serait parfois l'accès au livre, elle deviendrait le livre fait de toutes les  langues, de toutes les paroles mêlées, un chantonnement inouï, une danse du  dedans. 
          Tandis que Joyce  termine « Finnegans Wake », la danse de Lucia se fige à jamais dans ces  chambres d'hôpitaux ou elle demeurera jusqu'à sa mort. Il était pourtant persuadé  qu'à la fin de l'écriture de ce monstrueux « work in progress », Lucia partie  prenante de l'oeuvre, unie à elle comme, disait-il, une télépathe de son  écriture, retrouverait pleinement ses esprits…. 
  Terminant  cette présentation, je viens de lire que Wake, c'est aussi le trait, la trace,  le chemin, donc aussi de façon lointaine l'écriture et la nôtre à trouver dans  cette parole à deux, qui parfois ne fait qu'un ou qu'une… »  
Eugène Durif - Auteur
« Lucia Joyce,  fille unique de James Joyce amoureuse de Samuel Beckett… Un destin tragique ! 
          L'histoire de  Lucia aurait, en effet, toujours été mystifiée.. talentueuse et créative jeune  femme abandonnée ou fille charismatique témoin des relations de travail entre  Beckett et Joyce ? La réalité est que cette danseuse de grand talent aura passé  une grande partie de sa vie en institutions psychiatriques, était-elle pour  autant réellement folle ? L'a-t-on faite passer pour folle ? L'a-t-on rendue  folle ? 
          Eugène Durif a  enquêté, étudié, recherché pendant plus d'un an afin de tenter de savoir  "Qui est Lucia ?" A travers son écriture nous faisons un grand  plongeon dans l'esprit de cette femme en lui redonnant la parole. 
          Je désirais  depuis 15 ans travailler avec Eric Lacascade, après un coup de foudre  artistique sur sa trilogie autour de Tchekhov, j'étais encore apprentie  comédienne au compagnonnage Geiq Théâtre à Lyon, et j'ai été époustouflée par  le corps à corps violent et brûlant entre le texte et les acteurs, cassant les  codes, les unités de lieu, de temps, d'espace théâtral ... Pour aborder la  figure de Lucia Joyce, seule sur scène, il m'est apparu essentiel de travailler  avec un metteur en scène puissant, capable de dérouter l'acteur, d'ancrer la  densité poétique des textes d' Eugène Durif dans le corps , dans le réel du  plateau, dans le coeur de l'acteur. Je voulais un directeur d'acteur capable  d'être au-delà de mon propre travail artistique, de l'emmener ailleurs,  d'explorer des sentiers dans lesquels la peur, la pudeur m'ont toujours empêché  de franchir la porte, de casser les zones de confort de l'artistique, de  continuer à cheminer, à évoluer . J'en fait le mot d'ordre de mon parcours  artistique. J'ai pour cela demandé à Eric Lacascade, qui, à ma grande joie, a  accepté. Il mettra donc en en scène ce texte que j'interpréterai. 
          Il s'agit ainsi  d'une rencontre entre trois artistes : un auteur, un metteur en scène et une  interprète. 
          Nous avons  commencé une première étape de travail au théâtre de la Reine blanche (Paris),  un "work in progress", un entrainement ouvert aux spectateurs afin  d'éprouver la parole de cette femme au plus près du public. » 
Karelle Prugnaud - Comédienne et performeuse
 d'une lettre de Jung  qui a tenté de soigner la jeune schizophrène dans sa clinique suisse (lettre  citée par Richard Ellmann) 
         «(…) si vous connaissez ma  théorie sur « l'Anima », Joyce et sa fille en sont un exemple classique. Elle  est nettement sa « femme inspiratrice », ce qui explique son refus obstiné de  la voir déclarée atteinte d'aliénation. Sa propre anima, c'est à dire sa psyché  inconsciente, s'est si solidement identifiée à sa fille qu'admettre sa folie  eut été admettre pour lui-même une psychose latente. On comprend qu'il n'ait pu  s'y résoudre. Son style « psychologique » est nettement schizophrène, avec  cette différence cependant que le malade ordinaire ne peut s'empêcher de parler  et de penser sous ce mode, tandis que Joyce l'a voulu même l'a développé de  toutes ses forces créatrices, ce qui soit dit en passant explique pourquoi il  n'a pas franchi la limite. Mais sa fille l'a franchie, parce qu'elle n'était  pas un génie comme son père, mais une simple victime de son mal (…) » 
         Plus tard Jacques Lacan  reviendra, de façon différente, sur la relation de Lucia et de James Joyce et  l'imbrication des symptômes du père et de la fille…(notamment dans une leçon du  séminaire « Le sinthome »..) 
         «  Et Lucia, elle, ne peut se retenir de se lever, de commencer à se jeter contre  les murs, 
         à se précipiter contre l'espace  pour une danse folle. 
         Danse de folle le corps  écartelé 
         Danse sans musique qui ferait  penser à celle de Nijinski 
         Les bruits du souffle et des  pas 
         Une élancée  vers le ciel, dans le mouvement ou le rêve du mouvement, cette fois on ne peut  plus juste et retombe, retombe plus bas que terre, et retombe et s'arrête et se  fige. »
Karelle Prugnaud, à la vénusté électrique et à l'audace sans frein, incarne avec éclat la figure de Lucia, éprise de Samuel Beckett, lequel la rejeta. En sublime gibier d'asile, bouleversante, bouleversée, elle parcourt dans son jeu les étapes convulsives des hystériques de la Salpêtrière que Freud découvrit médusé. Durif ayant imaginé une lettre sacrément érotique de Nora à Joyce, son mari, Karelle Prugnaud la mime et la profère dans ses conséquences obscènes avec une souveraineté accomplie. Lacascade, en retrait, la somme de se remettre en jeu autrement. Elle s'exécute, prouvant ainsi sa parfaite maîtrise dans l'art du simulacre porté à son comble ; tantôt diablesse possédée, tantôt petite fille désastrée. À la fin, Durif, d'une voix douce, donne quelques clés sur son texte tempétueux, fruit d'une poétique savante. On aimerait que cet acte artistique valeureux, né de la conjonction de talents si flagrants, ait la longue vie qu'il mérite. Ce n'est pas assuré, car l'époque est chiche en imagination. Le secteur public du théâtre n'obéit-il pas désormais à la règle mesquine du charbonnier qui est maître chez soi et ne se montre pas trop curieux de ce qui a lieu ailleurs? On se retranche, on veille au grain. On s'abrite. Tous contre tous et Dieu reconnaîtra les siens. » L'Humanité
(...) l'écriture de Durif est superbe, la forme séquencée épousant le rythme de la pensée malade en perpétuelle mouvance et agitation de Lucia : « Ça crie dans ma bouche, ça crie dans ma tête, tous leurs mots qui me déchirent l'intérieur, vous voulez que je gueule encore pour que vous les entendiez mieux ? » Sur le plateau rendu à l'état brut par Magali Murbach, Karelle Prugnaud cisèle les cris de Lucia ; elle le fait avec une rare détermination, entre grâce et violence. Sa troublante beauté fascine en ce qu'elle recèle de dangerosité, celle de la folie. Guidée par Éric Lacascade elle est prête à jouer, de toutes les tonalités et de tous les registres qu'il lui demande. Lui tout comme Durif rôde aux alentours de ce qui tient lieu de plateau. Un lieu hanté par ces trois personnages et que balaye un authentique souffle poétique. Il serait aberrant qu'une telle proposition ne trouve pas refuge dans d'autres théâtres (alors que sa production est tellement éloignée – aux antipodes – de celles au coût de centaines de milliers, voire de plus d'un million, d'euros des petits maîtres starifiés qui hantent nos scènes), mais il est vrai que c'est à cette aune que l'on peut mesurer l'état de notre société, et que les troubles de l'esprit font toujours peur. » Frictions
La pièce est inattendue, physique, charnelle et érotique. Karelle Prugnaud incarne tout du long le bouleversement et l'instabilité tandis que, car boiter n'est pas pécher, le texte soutient tout. C'est remarquable. TouteLaCulture.com