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saison 2018/2019

MAR 4 DÉCEMBRE 20H
durée 1h40
RÉSERVER
GRANDE SALLE
tarif A
THÉÂTRE
dès 14 ans

AUTOUR DU SPECTACLE
atelier découverte

Des hommes en devenir

MISE EN SCÈNE EMMANUEL MEIRIEU
COMPAGNIE BLOC OPÉRATOIRE

 

Ils sont là, au plus près de nous. Ils portent en eux notre temps, notre monde, nos pertes et nos manques.

Ils sont six et ils témoignent. Soiffard perd une autre femme, cherche sa place. Tom dirige une scierie où se mélangent odeurs de chair et de sève. Vincent est le père d'une fille mort-née. Dean ne contrôle plus son corps. Mané a tout vu mais n'a rien fait. Sean recherche son amour d'enfance... Tous éprouvent la perte, le manque et tous vont le raconter. Les blessures et les souffrances se montrent, se partagent, se rejoignent. Ces histoires se succèdent et se croisent.

Dans un dispositif brisant le quatrième mur, Emmanuel Meirieu présente ses personnages dans une réalité révélée, faite de porosité, entre eux et avec nous. Leurs voix sont amplifiées, leurs visages, filmés et projetés en gros plan sur un tulle en avant-scène, deviennent paysages où coulent des gouttes de sueur, de rage, de libération. Des hommes en devenir, c'est une veillée pour hommes blessés, prêts à envisager l'avenir.

 

« Qui mieux que le théâtre, à ce point de vérité et de fièvre poétique, dit notre famine d'amour, de compassion et de fraternité (…). Une pure merveille ». Philippe Chevilley, Les Echos

 

« On en sort lessivé. Les yeux brillants. L'angoisse au ventre. Le plexus en aiguille. C'est glaçant mais brillant. » Gérald Rossi, L'humanité

D'après le roman de Bruce Machart. Traduction François Happe, Éditions Gallmeister. Mise en scène, adaptation Emmanuel Meirieu. Collaboration artistique, co-adaptation Loïc Varraut. Avec Stéphane Balmino, Jérome Derre, Xavier Gallais, Jérome Kircher, Loïc Varraut. Costumes, création visuelle des personnages Moïra Douguet. Musique originale Raphaël Chambouvet. Son Raphaël Guénot. Lumière, décor et vidéo Seymour Laval, Emmanuel Meirieu. Maquillage Estelle Tolstoukine, Laetitia Rodriguez.

Production Bloc Opératoire. Coproduction Comédie De l'Est – Centre dramatique national, Comédie Poitou-Charentes Centre Dramatique National, Scène Nationale de Châteauvallon, Centre de Production des Paroles Contemporaines Aire Libre. Soutien Région Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon. La compagnie Bloc Opératoire est conventionnée par le ministère de la Culture DRAC Rhône-Alpes et artiste associé à La Comédie de l'Est, Centre Dramatique National.

© photo : P. Gely, Loewen


Le travail d'Emmanuel Meirieu rappelle « The Moth », l'expérience unique commencée en 1997 à New York et devenue depuis un véritable phénomène de société.
Chaque soir, partout aux Etats-Unis, des centaines d'hommes et de femmes se réunissent pour écouter l'un d'entre eux leur raconter sa vie.
Ce sont des témoignages, des confessions, à mi-chemin entre le documentaire et le théâtre. Ces réunions attirent de nombreux fidèles.
On vient pour écouter des morceaux de vies : des histoires vraies, bouleversantes, sincères, magnifiquement racontées.
Dans le public, des centaines de personnes de tous âges, assises sur des chaises pliantes ou en tailleur par terre, rient ou pleurent.


Jérome Derre est Tom
Directeur de la scierie d'Ozark
« Quand je sors de ma scierie le soir, je passe devant le chantier avec tous les troncs, je descends toutes les vitres de la voiture et je respire à fond par le nez. J'en emporte un peu chez moi, en moi, un peu de cette odeur de sève. Cette odeur pour moi c'est la vie que les arbres morts gardent cachée à l'intérieur des troncs. Quand une chose meurt, même un arbre, elle veut que vous sentiez ce qu'elle était, vivante, elle veut que vous vous souveniez. »

Xavier Gallais est Ray
Auteur pour le Reader's Digest « Drames de la vie réelle »
« Là dehors, l'homme s'était arrêté, il était là, à genoux sur l'asphalte, effondré au bord de l'autoroute, en train de pleurer sur un chien qu'il aimait, plus que tout, si vous êtes comme moi j'étais avant, je sais que vous pouvez pas ressentir ce qu'il ressent. Ca a créé quelque chose de bizarre en moi, comme si on m'avait ouvert la poitrine, que ma poitrine était exposée à l'air libre, et il y avait toutes ces voitures qui passaient à toute vitesse et il y avait leur souffle qui frappait la vitre de la bagnole, et le bruit de tout ça se mélangeait dans ma tête, confus, disloqué, dément, se mélangeait avec la prière que j'étais en train de formuler, c'était hier soir et cette prière je l'entends encore sans arrêt dans ma tête, cette prière qui dit : MON DIEU, MON DIEU JE VOUS EN PRIE, FAITES QU'UN JOUR MOI AUSSI J'AI AUTANT A PERDRE. »

Xavier Gallais est Dean
Chauffeur livreur pour la compagnie Gulf Coast Courier
« Si on vous a enlevé un ovaire, un sein, ou les deux, si vous avez subi une hystérectomie, l'ablation d'une tumeur, d'un grain de beauté, enflé, violacé, alors quelque que soit ce morceau de vous qui a vous été retiré, il a peut-être passé un moment, avec moi, dans ma voiture. Je m'appelle Dean, je collecte et je livre des spécimens biologiques aux laboratoires d'analyses. Les jours de grande activité comme aujourd'huí, je transporte les morceaux d'une quarantaine de personnes. Ca fait deux grands sacs isothermes sur le siège arrière de ma voiture. La plupart proviennent de femmes, comme si leurs corps les trahissait plus souvent, ou comme si il était est plus généreux. Pendant mes tournées, dans la voiture, je vérifie les registres des prélèvements : Leslie June DeMarco, Jennifer Blue Jonhston, Camilla Rosemarie Stup, Bethany Evelyn Green. Du bout des doigts de ma main valide, je caresse la liste de noms. Ca fait douze ans que j'ai pas pu touché une femme, une vraie femme, une femme entière, avec ses mains, avec sa bouche. Depuis mon accident. »

Jérome Kircher est Vincent
Aide soignant, service des grands brûlés, hôpital de Houston
« Je revois sans arrêt le visage de ma femme dans la salle d'accouchement, avant qu'ils emportent le bébé, quand l'infirmière l'a enveloppé dans la couverture. Elle savait que son bébé était mort dans son ventre, on lui avait dit avant l'accouchement. Mais j'ai reconnu l'expression sur son visage, ses sourcils qui se lèvent, sa bouche entrouverte, je sais que c'était de l'espoir. Il y avait pas un bruit dans la salle, pas un son, je me souviens que j'ai pensé que le monde, dans sa laideur, était devenu silencieux. Et j'ai éprouvé de la gratitude pour Tammy quand elle s'est mise à hurler : « Vous allez même pas lui faire sa toilette ? Qu'est ce que vous attendez pour lui donner son bain ? Elle doit prendre son bain. » Elle. C'est comme ça que j'ai su que ce bébé sans nom, avec cette couleur étrange, froide, bleutée, avait été une petite fille. »

Loïc Varraut est Mané
« Cette nuit me collera à la peau. Comme son parfum au jasmin colle aux draps de notre lit. Mais quand je serai tout seul,à un feu rouge qui n'en finit pas, dans dix ou vingt ans, c'est mon fils que je reverrai. Mon fils dans mes bras, sur le parking. Qui s'accroche à mon petit doigt. Le tétant comme une sangsue. Jusqu'à ce que mon petit doigt devienne douloureux. Parce que c'est comme ça qu'elle le voulait son fils. VORACE. »


Bruce Machart

L'auteur
Bruce Machart est né au Texas et a grandi à Houston. Il est issu d'une famille d'agriculteurs d'une contrée rurale proche du comté de Lavaca, où se déroule l'intrigue de son premier roman Le Sillage de l'oubli. Il publiera ce livre en 2011 puis un recueil de nouvelles, Des hommes en devenir. Lors de sa parution, Le Sillage de l'oubli est accueilli par une presse enthousiaste qui trouve dans son univers des accents de Faulkner. Bruce Machart vit et enseigne à Hamilton dans le Massachusetts.


Emmanuel Meirieu

Le metteur en scène et adaptateur
Emmanuel Meirieu. Né à Versailles en 1976. Artiste associé au CDN de l'Est. Il mène des études de philosophie et de droit. Quarante ans et vingt à créer un théâtre stimulant et actuel. Passionné par les acteurs et le récit, il aborde le théâtre en créateur d'émotions fortes.

Il porte à la scène les auteurs d'aujourd'hui et toujours avec l'envie de faire entendre d'une manière simple la puissance des histoires tout en créant des archétypes de théâtre inoubliables : des êtres brisés, des marginaux grandioses et viscéralement humains, "ces derniers qui seront les premiers".

Qu'il travaille avec des interprètes confirmés ou révèle des talents bruts, sa direction d'acteur est unanimement saluée.

Avec De Beaux Lendemains qu'il a présenté aux Bouffes du Nord en 2011, et Mon traître créé au théâtre Vidy-Lausanne en 2013, et repris cette année au Théâtre du Rond Point, il a su démontré son talent pour l'adaptation de romans à la scène.


Dorothée Lachmann
Comment mettre en scène la douleur extrême de l'âme humaine ?

Emmanuel Meirieu
Nos blessures les plus profondes sont souvent invisibles. Au théâtre, je crois d'abord aux mots et aux histoires pour dire que nous vivons, ce que nous ressentons, au plus profond de nous-même.
J'ai été bouleversé par les groupe de parole (1) auquels j'ai pu participer dans ma vie. Les alcooliques anonymes disent de leurs réunions qu'elles sont des « partages » : autour d'une grande table, chacun vient se raconter et tous écoute les faits vécus. A la télévision, les témoignages, les récits de vie, me touchent plus profondément que toutes les oeuvres de fiction. Et je les aime face caméra, les yeux dans les yeux avec le spectateur.
C'est comme cela que j'ai trouvé ma solution, ma façon de faire du théâtre. J'ai adapté à la scène « De Beaux Lendemains », le roman de Russel Banks, « Mon traître », de Sorj Chalandon, et « Ressusciter les morts » de Joe Connely. A chaque fois des êtres venaient se raconter, au micro, seuls en scène, face public. Ils regardaient les spectateurs dans les yeux et se confiaient à eux.
Avec Russell Banks, quatre témoins pleuraient les enfants d'un car scolaire accidenté ; un père en deuil, la conductrice du bus rescapée, une enfant survivante, et un avocat qui faisait sienne leur douleur. Avec Sorj Chalandon, le traitre et son trahi se succédaient au micro pour nous dire la difficulté de pardonner, et parfois plus encore de se pardonner. Avec Connelly, un ambulancier urgentistes de New York nous racontait ceux qu'il n'avait pas pu sauver.
Je suis convaincu qu'on peut faire du théâtre de milles façons, après quinze ans de travail, j'ai trouvé la mienne : un personnage vient se raconter à vous, tout simplement. Dire sa peine, chercher le pardon, commencer sa guérison. Je veux juste que vous aimiez ce personnage autant que moi, que vous écoutiez son histoire et entriez en empathie avec lui.

En tant que spectateur, je n'ai jamais vraiment cru à ce que je voyais au théâtre. Je n'ai encore jamais accepté les codes et les conventions du théâtre. Jamais cru que les personnages ne sachent pas qu'il y ait un public pour les regarder. Je n'ai encore jamais réussi à accepter le quatrième mur (2). Ces gens sur la scène qui font semblant de ne pas savoir que les spectateurs sont là. Ils parlent fort, même quand ils murmurent, ils parlent trop fort. Quand ils discutent, ils se tiennent loin les uns des autres. Ils sont obligés de crier, de faire de grands gestes. Ils sont trop éclairés. Cela parait si facile à accepter pour d'autres spectateurs assis dans l'obscurité à côté de moi, mais je n'arrive jamais à y croire, à croire que c'est vrai. Je sais, à chaque instant, que c'est un décor, que ce sont des costumes et des comédiens. Je sais que ces mots-là ont déjà été écrit et prononcé des centaines de fois, qu'ils le seront encore demain, je sais que je peux trouver ces mots noir sur blanc dans un livre à la librairie du théâtre. Et je n'arrive pas, je n'arrive jamais à oublier que je suis au théâtre. Je n'entre pas en compassion.

Alors quand je fais du théâtre, je veux que les spectateurs oublient que c'est du théâtre. Je veux que, dès les premiers mots prononcés, ils croient que celui qui leur raconte son histoire est celui qui l'a vraiment vécu, comme dans un groupe de parole. Qu'ils croient que les acteurs prononcent ces mots là pour la première fois de leur vie, et qu'ils le font pour eux. J'éprouve ce besoin, dans chaque geste de ma mise en scène, avec mes acteurs, mes équipes : effacer tout ce qui pourrait nous rappeler le théâtre, comme on s'acharne sur un faux pli, une bosse sous un tapis. Parce que je veux que, dès les premiers mots prononcés, vous croyiez que celui qui vous raconte son histoire est celui qui l'a vraiment vécu. C'est Agamemnon, c'est Mère Courage, c'est Roberto Zucco, c'est aujourd'hui, ici et maintenant, avec vous. Je veux que la forme que je choisirai soit transparente, indétectable, indéfinissable, ou floue comme un second plan de cinéma qui rendra toute sa présence au personnage. J'aime que mes gestes de mise en scène ne se remarquent pas, comme on ne sent pas le mouvement d'une caméra ; conçus pour être perçu juste au-dessous du niveau de conscience. Je me souviens d'un Hamlet magnifique : le spectacle commence, un homme jeune s'avance vers nous, il sait que nous sommes là, ils nous regardent et ils nous parlent tout simplement : « Je m'appelle Hamlet, hier j'ai vu le fantôme de mon père ». Instantanément, j'y ai cru. C'était vraiment Hamlet, là avec moi, dans le même endroit du monde, séparé de quelques mètres. Instantanément, je suis entré en empathie avec lui. J'ai ressenti sa peine, j'ai espéré qu'il démasque les assassins de son père et qu'il retrouve la paix.

Dans les écoles de théâtres, on apprend parfois à regarder « la ligne d'horizon », au-dessus du public. Je demande à mes acteurs, de regarder le public droit dans les yeux, et de leur parler, de leur parler vraiment. Il n'y a qu'au théâtre que le personnage d'une histoire est physiquement présent comme cela devant nous, vivant, dans le même endroit du monde et au même moment, respirant le même air, séparé simplement de quelques mètres de nous. Il n'y a qu'au théâtre qu'il peut s'adresser directement à nous, vous pouvez presque le toucher. Et c'est là, pour moi, que le théâtre peut trouver sa supériorité sur le cinéma : l'histoire se passe réellement là, avec vous, vous pouvez sentir le souffle des personnages. Ça s'appelle : la chaleur humaine. Ces personnages de roman devenus des hommes de chair et d'os, des êtres vivants, humains, crèvent le quatrième mur pour se confier à nous, partager leurs émotions. C'est nous qu'il regarde, c'est à nous qu'ils parlent. Ce ne sont plus des monologues de théâtre, ce sont des témoignages, des faits vécus par la personne qui nous les raconte. Je suis baptisé, c'était mon choix, j'avais 9 ans, mes messes d'enfant ont bouleversé ma vie, je sais qu'elles sont encore là dans tous mes spectacles, avec ces homélies au micro, ces chants, ces paraboles. Et par mes gestes de décor, je sais que je cherche toujours à faire que mes théâtres ressemblent plus à des cathédrales ou des chapelles, pour que mes mots et mes histoires y résonnent. Ce n'est pas du prosélytisme, bien sûr, je ne veux pas vous convertir, ni vous faire le catéchisme. Simplement la messe a été pour moi ma première expérience de partage des émotions, et le Nouveau Testament la première histoire qui a marqué ma vie, alors toutes mes histoires sont de crucifixion et de rédemption. Je me souviendrais toute ma vie du Saint Suaire que j'ai vu enfant, de l'emprunte qui s'efface de ce visage souffrant.
Vous vous souvenez de Saint Thomas face à Jésus ressuscité :
« - Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l'endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté; non, je ne croirai pas.
-Avance ici ton doigt, et regarde mes mains ; avance aussi ta main, et mets-la dans mon côté ».
C'est en voyant et en touchant ses blessures que Thomas a reconnu son ami Jésus. J'ai besoin que me personnages vous montrent leurs blessures. Je veux dire et répéter que nous ne souffrons jamais seul. On dit souvent qu'être artiste, c'est être unique, c'est faire valoir sa différence, je veux faire valoir nos ressemblances : on connait tous la douleur du manque et de la perte. J'espère, plus que tout, faire un théâtre qui console. Il n'y a rien de plus beau pour moi que ça : consoler quelqu'un. Mes histoires peuvent vous paraitre d'abord tristes, violentes parfois, parce que je suis obligé de vous parler de la fragilité extrême des êtres vivants et de la brutalité du monde. Mais je veux que vous sortiez du théâtre consolé, réconforté, comme après l'étreinte fraternelle à la fin d'une messe.

D.L.
L'espoir a-t-il besoin pour s'exprimer d'un théâtre fondé sur l'émotion ?

E.M.
C'est pour ce rêve que j'ai fait ce métier : l'émotion d'une salle pleine. On représente toujours le temps sous la forme d'une ligne horizontale, plat, comme ces frises chronologiques à l'école. Mais le temps a aussi une épaisseur et ce sont les instants d'émotion qui le lui donnent. Et ce sont eux aussi qui restent au dernier jour, ces instants-là, ces secondes qui nous ont fait goûter plus. Je n'ai qu'un seul objectif : vous donner le grand frisson. Créer dans la salle le raz-de-marée d'émotion.
Le théâtre public a exploré souvent les dramaturgies de l'Est, les grands pionniers de mon métier ont été profondément marqués par la venue en France de Brecht et du Berliner Ensemble dans les années 50. La doctrine de la « distanciation » (3) a laissé à jamais une emprunte sur notre théâtre. Le théâtre est devenu d'avantage je le sais, le lieu de l'analyse, et de la distance critique. Et l'émotion a été vu parfois comme suspecte, presque dangereuse. C'est avec ces grands maitres de ma profession que j'ai fait mon apprentissage, j'ai grandi avec le TNP de Roger Planchon, où j'ai découvert les chefs d'œuvre de la décentralisation théâtrale. C'est là que j'ai appris mon métier. Mais ce sont d'autres histoires qui ont forgé, profondément, ma vocation. Mes premiers enthousiasmes de spectateurs, je les ai eues devant les grands chefs d'œuvre du cinéma américains. Dans ces histoires, simples et belles comme des contes, puissantes comme des paraboles bibliques. Et dans cette énergie qu'on ne trouve que dans ce cinéma-là : l'optimisme. Celui qui nous donne la force de tout pardonner, de guérir de toutes les blessures, quand vous sortez de ces salles obscures, fort de cette émotion : « je peux tout recommencer ».
Je connais bien sur les réserves, idéologiques, esthétiques, sur ce cinéma, mais je tiens toujours ces films pour des chefs d'œuvre absolus. Quelquefois notre idéologie nous aveugle un peu et nous empêche d'en voir l'immense valeur. Des chefs d'œuvre de poésie pure. Des chefs d'œuvre d'ingénierie aussi. Cette ingénierie à raconter les histoires que l'on trouvait chez les grands auteurs classiques : motifs d'écritures, parallélismes, thèmes et contre thèmes. Et parce que c'est une culture généreuse en émotion avec son public, elle est immédiatement accessible au plus grand nombre. Et elle défend une valeur première, pour moi la plus belle, la plus importante de toutes : l'empathie (4). L'empathie envers son prochain.

D.L.
En quoi l'écriture romanesque apporte-t-elle plus d'intensité à ces destins ?

E.M.
J'ai la passion des grandes histoires contemporaines. Je crois en la force d'un récit, structuré, classique, avec une véritable intrigue. J'ai la conviction que seule l'histoire tuera l'ennui. Je veux dire une vraie histoire, racontée simplement, avec un début, une fin. Je sais que ni la puissance des images, ni la beauté de la langue, ne sauveront les spectateurs de l'ennui.
Des grands courants esthétiques et de pensées, comme « Le nouveau roman » en littérature, « La nouvelle vague » au cinéma, ont rejeté l'idée d'intrigue, et même parfois celle de personnage. Et j'ai conscience du renouvellement que cela a été. J'ai vu d'immenses spectacles dans lequel le texte était d'abord un « matériau », sans histoires. D'autres spectacles, sublimes, qui s'attachaient d'abord à la langue, à la sonorité de mots, à leur poésie. Des spectacles aussi plus pamphlétaires, philosophiques, discursifs, et passionnant, qui démontraient d'abord une thèse. Mais j'ai besoin d'une histoire, racontée simplement, avec de personnages auxquels on s'attache, d'autres que l'on déteste, une histoire que l'on comprend et que l'on suit. Tout est commandé pour moi par les nécessités de la narration, jamais par une recherche formelle ou stylistique.
Les romans que j'adapte me donne une force, vitale, peut-être par leur densité et leur ampleur. « Mon traître » et « Retour à Killybegs » de Sorj Chalandon, c'est une histoire de 120 000 mots, trois générations, 120 ans d'histoire d'Irlande…
Je ne choisis que des histoires écrites aujourd'hui, et qui se passent aujourd'hui. Mes personnages parlent comme nous, ils vivent ou ont vécu au milieu de nous. Ils portent en eux notre temps, notre monde. Ils nous racontent une part de notre histoire contemporaine. Mais la part de mythe me touche plus encore que l'actualité politique dans ces textes contemporains. Je cherche toujours le mythe premier, archaïque, les archétypes, le conte primitif ou naïf, la tragédie antique, la légende derrière l'histoire. Tout ce qui pourrait la rendre éternelle.

(1) Un groupe de parole est une pratique de psychothérapie qui rassemble plusieurs personnes, patients, membres d'un personnel, autour d'un thème prédéfini, afin de permettre l'expression des conflits, des souffrances, et des réflexions sur les moyens de les résoudre.
(2)Au théâtre, le quatrième mur désigne un « mur » imaginaire situé sur le devant de la scène, séparant la scène des spectateurs et « au travers » duquel ceux-ci voient les acteurs jouer.
(3) La distanciation est un principe théâtral. S'opposant à l'identification de l'acteur à son personnage, elle produit un effet d'étrangeté. Ce procédé vise à perturber la perception linéaire passive du spectateur et à rompre le pacte tacite de croyance en ce qu'il voit.
Dans son "Petit organon pour le théâtre", Brecht s'attaque clairement au réalisme. Le principe de la distanciation se place, dit-il, à la « frontière de l'esthétique et du politique », afin de « faire percevoir un objet, un personnage, un processus, et en même temps le rendre insolite, étrange », et de « prendre ses distances par rapport à la réalité ».
(4) L'empathie (du grec ancien ἐν, dans, à l'intérieur et πάθoς, souffrance, ce qui est éprouvé) est une notion désignant la compréhension des sentiments et des émotions d'un autre individu.


L'émotion ne connaît pas le degré zéro ou alors elle est mensongère. Emmanuel Meirieu la porte à son point culminant. Joëlle Gayot, France Culture.

Une tenue, une tension, une rigueur qui font que l'on est comme devant une tragédie grecque ou une pièce terrible de Shakeaspeare (…) Un travail très puissant, audacieux (…) "Des hommes en devenir" est servi par cinq interprètes magistraux. Un moment d'une grande intensité émotionnelle. Armelle Heliot, Le Figaro

Le théâtre se fait le lieu d'une parole incandescente, éblouissante d'authenticité, jamais obscène, jamais pompeuse, évitant avec un talent sidérant la prise d'otage de la sensiblerie. Catherine Robert, La Terrasse.

Un uppercut théâtral dans tous les sens du terme qui dépasse tous les codes de la mise en scène, du témoignage et du jeu. Absolument indispensable. Vanity Fair

Emmanuel Meirieu est de retour et a son meilleur (…) Remarquable plongée dans l'Amerique de la douleur. Xavier Gallais, Kircher, Derre sublimes. Qui mieux que le théâtre, à ce point de vérité et de fièvre poétique, dit notre famine d'amour, de compassion et de fraternité (…) Une pure merveille. Philippe Chevilley, Les Echos

On en sort lessivé. Les yeux brillants. L'angoisse au ventre. Le plexus en aiguille. C'est glaçant mais brillant. Gérald Rossi, L'Humanité.