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saison 2017/2018

THÉÂTRE / SAMEDI 21 AVRIL 20H / LE DRAKKAR / DURÉE 1H / TARIF B / CONSEILLÉ À PARTIR DE 15 ANS RÉSERVER

Radioscopie
Chancel / Brel

MISE EN SCÈNE PHILIPPE LABONNE

THÉATRE EN DIAGONALE COPRODUCTION DSN

Conversation entre deux monstres sacrés.

 

Le 21 mai 1973, Jacques Chancel reçoit Jacques Brel dans le cadre de son émission Radioscopie sur France Inter. L’enregistrement se fait à Cannes lors du 26e Festival du Film. Jacques Brel y représente la Belgique avec sa seconde réalisation Le Far West, relatant l’histoire de deux grands enfants qui décident de partir ensemble pour cette contrée lointaine. Le film n’enchantera pas la critique et ne trouvera pas son public, éclipsé par les chefs d’œuvres présentés cette année-là sur la Croisette. Radioscopie est la dernière interview accordée par Jacques Brel qui mourra cinq ans plus tard. En transposant à la scène cette conversation entre deux hommes au sommet de leur art, Philippe Labonne explore cette matière sonore et textuelle pour une mise en images de ce souvenir d’enfance. Le texte est d’une richesse, d’une intimité inattendues, dévoilant l’insoupçonnable fragilité d’un artiste.

Mise en scène et scénographie Philippe Labonne • lumières Franck Roncière. Vidéo Paul Éguisier. Musique Laurent Rousseau. Avec Yann Karaquillo, Laurent Rousseau et Philippe Labonne.
Production Théâtre en Diagonale. Coproduction DSN – Dieppe Scène Nationale.

© photo : Franck Roncière, DR

Site de la compagnie


AUTOUR DU SPECTACLE

SPECTACLE & CINÉMA
DIMANCHE 22 AVRIL 18H30

Les Risques du métier

DE ANDRÉ CAYATTE
En 1973, Brel présente Far West au Festival de Cannes. Ce sera son dernier film. Il avait débuté sa carrière sur les écrans avec Les Risques du métier, pour lequel il endossait courageusement le costume d’un instituteur accusé de pédophilie. [+]


AUTOUR DU SPECTACLE

SPECTATEURS TÉMOINS
JEUDI 7 SEPTEMBRE

RADIOSCOPIE

Jeudi 7 septembre à 18h30, au Drakkar.

Le Théâtre en Diagonale travaille sur sa prochaine création, Radioscopie, basée sur la rencontre entre Jacques Chancel et Jacques Brel de 1973. [+]


Le 21 mai 1973, Jacques Chancel reçoit Jacques Brel dans le cadre de son émission « Radioscopie ».
L'émission est enregistrée à Cannes à l'occasion du XXVIème Festival du film.
Jacques Brel y représente la Belgique avec sa seconde réalisation Le Far West.
Le film n'enchantera pas la critique et ne trouvera pas son public.
Sont en compétition cette année-là, deux films qui marqueront à jamais l'histoire du cinéma mondial : La Grande Bouffe de Marco Ferreri et La Maman et la Putain de Jean Eustache.
L'immense scandale provoqué par le film de Ferreri a-t-il éclipsé cette fable moderne réunissant deux grands enfants qui décident de partir ensemble pour le Far West ?
Probablement ; même si, ni la réalisation, ni le scénario, ni l'interprétation de Far West ne peuvent objectivement rivaliser avec le chef d'œuvre de Marco Ferreri, bras d'honneur sans égal à ce jour, aux moralistes petits-bourgeois qui étouffent la France des mi-seventies.
Radioscopie est la dernière interview accordée par Jacques Brel.
Il apprend l'année suivante qu'il est atteint d'un cancer des poumons et se retire aux îles Marquises. Il meurt le 9 octobre 1978.


Dans la plupart des cas, quand il s'agit de monter un auteur, quel qu'il soit –Mallarmé, Shakespeare, Claudel, Hugo, Koltès … peu importe -, l'Intime et la Raison commencent par s'opposer pour finir par s'accorder sur un modus vivendi. L'un nourrissant l'autre et vice versa.
Dans le cas qui nous occupe l'Intime règne en maître et, nous aurions beau chercher, il n'est pas un rôle dévolu à la Raison. Une fois encore, il n'est pas besoin d'aller chercher très loin ; les premières années sont responsables de tout. Plus précisément cette période cruciale – de quelques heures à dix-huit ans – durant laquelle notre cerveau s'enrichit, se nourrit de tout, engrange, s'approvisionne, met de côté, histoire de ne manquer de rien durant les cinquante années à venir.

Je me souviens (Chancel ayant consacré une Radioscopie à Perrec le 22 septembre 78, c'est donc sans le moindre scrupule que j'emprunte à Perrec, l'anaphore qu'on ne peut employer sans penser à l'auteur de « L'Augmentation »).
Je me souviens donc d'une varicelle carabinée qui à l'âge de sept ans me cloue au lit quinze jours durant. Pour quelles raisons mes parents ne peuvent alors me faire garder, je ne m'en souviens pas. Toujours est-il que je me retrouve seul toute la journée, ma mère ayant laissé à mes côtés un petit transistor à piles (les voies de la culpabilité sont impénétrables), et toute la journée j'alterne sommeil et France Inter.
Je me souviens du générique improbable de Delerue – géniale prémonition d'un Rondo Veneziano jazzifiant jamais copié, jamais égalé – qui déboule à 15h00, 16h00 ou 17h00 ? ... peu importe.
Je me souviens de la voix qui se présente et qui présente l'invité que je ne connais pas. J'écoute sans m'endormir. Je ne comprends pas tout - doux euphémisme pour ne pas dire que je ne comprends rien -. Et pourtant …
Je me souviens de ces dix rendez-vous qui ont marqué à jamais ma vie et ont scellé mon amour de la radio. Avant l'année de la varicelle, j'ai longtemps imaginé que l'immense radio de ma grand-mère abritait une population lilliputienne dont on cherchait, - par soucis de ne pas m'effrayer -, à me cacher l'existence. L'arrivée du transistor a balayé ces croyances païennes pour ne laisser place qu'à une immense incompréhension. Comment ça marchait, je ne le savais pas. Je ne savais qu'une chose : la voix, les voix entendues m'ouvraient des horizons infnis. Mon cerveau travaillait autant à tenter de comprendre ce qu'on me racontait qu'à imaginer le visage du présentateur – j'ai parfois vécu de cruelles désillusions -.
Je me souviens dix années plus tard un bon copain oublie chez moi un soir de réveillon du nouvel an une intégrale Jacques Brel que ses parents lui ont offert à Noël. Le coffret velours frappé bleu de chez Philips. Ce coffret, de l'avoir, il était fer comme s'il avait été décoré de la légion d'honneur … et il l'avait oublié là, entre un verre ballon taché d'un fond de Malibu et une bouteille de Schweppes (en verre) ...
Je me souviens il (le bon copain) m'en parlait depuis longtemps de Brel. Il ne parvenait pas à m'intéresser.
Je me souviens qu'à l'époque, je ne pouvais pas imaginer une seconde qu'on puisse écouter un tel pavé. Les Stones, le Floyd, Led Zep … Oui évidemment ! Mais Brel quelle idée !
Je me souviens … que le jour de la mort de Jacques Brel, j'étais en première. Une fille qu'on n'aimait pas, a amené Les marquises en classe de Français renforcé. On était censé l'écouter sur un vieux coucou. Ça craquait de partout. On l'a écouté. Un pensum. La fille qu'on n'aimait pas pleurait. La prof pleurait aussi. Nous, on riait. A l'âge que j'ai, je voudrais pouvoir revenir en arrière et me gifler à la volée.
Je me souviens précisément du moment, affalé dans ce canapé vert d'eau, sans forme, où, parce que je tentais de m'extraire de la magistrale gueule de bois qui m'était tombée dessus au réveil et que par conséquent ma journée s'annonçait brumeuse, voir sacrifiée, foutue ; je me suis dis que « tiens pourquoi pas, histoire de se débarrasser une bonne fois pour toute, je pourrais bien m'en écouter une chanson de Brel » …
Je me souviens … que j'avais trouvé la force de poser sur la platine un des 33 tours pris au hasard et que le premier morceau entendu avait été « La Fanette ». Un début de face … probable …
Je me souviens que c'était elle, La Fanette, la première, à m'avoir tendu les bras … à m'avoir ouvert, pour l'éternité, des portes que je n'ai plus jamais refermées.
Je me souviens ne pas m'en être remis. Et je me suis englouti l'intégrale de l'œuvre enregistrée du Grand Jacques.
Je me souviens maintenant qu'à dix-sept ans c'était tout ou rien …

A la relecture, je culpabilise.
Est-il besoin de tant me justifier, de tant bomber le torse, de tant revendiquer ces états de service comme autant de médailles somme toute dérisoires et qui n'ont de valeur que pour moi. Peut-être oui ; peut-être non …
Je crois plus simplement qu'en 2015, il est bon que soit dite et entendue la transcription de cette conversation entre deux hommes au sommet de leur art -. L'un est à l'affut, ne semblant pas lâcher sa proie du regard, attentif à la fatigue, au lâcher prise, à la confidence, au scoop pourquoi pas et pourtant il est rassurant, bienveillant, toujours à l'écoute du bien être de son hôte.
L'autre est souvent là où on ne l'attend pas, anticipant parfois la fin de la question, capable en une même phrase de se montrer virtuose et quotidien, aspirant à goulées gourmandes des bouffées de sa Gitane brune (le micro d'Inter est intraitable).
La hauteur du débat d'alors nous rappelle tristement à quelle enseigne désormais nous sommes logés, et qu'il n'est probablement pas inutile, au passage, que perdure le souvenir de tels moments.
Le reste est histoire de mise en scène. Et encore … C'est à voir … Car la dramaturgie d'une émission comme Radioscopie relève d'un rituel, d'une liturgie qu'il pourrait s'avérer délicat de bouleverser.
La reconstitution fidèle me tente. Je parle là bien évidemment des mots. Il n'est pas question d'incarner charnellement Chancel ou Brel ; ce ne serait que ridicule ou tout le moins inapproprié.
Alors, quelques éléments tangibles : le micro, passeur, interface indispensable, troisième compère sans qui rien ne serait ; la cravate à carreaux sur col ouvert pour l'un et le pull à col roulé sous veste à chevron pour l'autre ; la cigarette.


Un espace neutre, minimaliste et non réaliste privilégiant le rapport entre les deux hommes.
Quelques éléments issus de l'imagerie radiophonique : une cabine, - cabine d'enregistrement, cabine de régie - dans laquelle se trouve le musicien, et sur laquelle peuvent être projetées des images (images d'archives – Cannes 73 ? - ou reprise en direct et en gros plan d'images plateau).
L'étroitesse du support de projection lutte contre une approche didactique de la présence vidéo. Les images seront tronquées de fait. L'image projetée ne renseigne pas (aucune volonté documentaire), elle n'est qu'un élément scénographique de plus, un appui dramaturgique éventuel, une trouée laissant deviner le off, l'extérieur, le pas-raconté peut être...
Des micros sur pieds ou suspendus. Certains échanges sont amplifiés, d'autres non.
Deux, trois fauteuils, permettent un rapprochement possible des deux protagonistes.
Brel peut aussi se retrouver seul, soliloquant. La lumière délimite les espaces.


Le musicien apparaît ou disparaît selon qu'il y ait projection ou non.
Plusieurs pistes : réappropriation du générique de Delerue, musique pure (guitare amplifiée) ayant valeur de B.O, sons (l'extérieur parvient jusqu'à nous par bouffées), magnétophone à bandes Revox (dans la version originale de l'émission, - chose rarissime dans Radioscopie- est diffusée la chanson « L'Enfance », chantée dans le film. Il est possible que nous en choisissions une autre, d'autres ou aucune). Une chanson et une seule serait interprétée en direct : « J'arrive ! ». Parue en 1968, elle ouvre l'album du même nom, en une forme de prémonition.