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saison 2016/2017

Love and Information

  • THÉÂTRE
  • MARDI 25 AVRIL
  • 20H
  • GRANDE SALLE
  • DURÉE ESTIMÉE : 2H30
  • TARIF A
  • RÉSERVER

DE CARYL CHURCHILL MISE EN SCÈNE GUILLAUME DOUCET

LE GROUPE VERTIGO COPRODUCTION DSN

 

Quelle place les flux incessants d’informations offrent-ils au ressenti, à l’amour ?

Cette pièce, de l’incontournable auteur britannique Caryl Churchill, traite de notre société et des rouleaux compresseurs que peuvent devenir les multiples données que nous recevons en continu face aux sentiments, au ressenti, à l’amour.
Au cours d’une cinquantaine de scènes aux formats éclectiques, Love and Information traite des espoirs et des mélancolies de générations qui tentent d’appréhender un nouveau monde, soi-disant en perpétuelle accélération, quoi qu’il en soit en perpétuelle quête d’information. Mais qu’il s’agisse d’un secret de famille, des entités virtuelles, de la censure ou de renseignement, il n’est au fond question que d’amour, dans son absence, sa survalorisation, son besoin. Caryl Churchill lie le tout avec un humour ravageur purement british, et une conscience sociale et politique salutaire.
De par son écriture et ses contraintes inédites, ce texte a réjoui le Groupe Vertigo qui va relever le défi d’une mise en scène à sa démesure, joyeuse et incisive. Ce texte est lauréat de la Commission nationale d'Aide à la création de textes dramatiques - Artcena.

DISTRIBUTION

Texte Caryl Churchill • Traduction Elisabeth Angel-Perez • Mise en scène Guillaume Doucet • Assistante à la mise en scène Bérangère Notta • Jeu Philippe Bodet, Jean-Pierre Fermet, Gaëlle Héraut, Camille Kerdellant, Marina Keltchewsky, Nadir Louatib, Chloé Vivarès, Manon Payelleville, Jules Puibaraud • Création et régie lumière, Régie technique générale Lucas Samouth Création et régie Son Maxime Poubanne Régie plateau Ludovic Losquin et Antoine Pansart Accessoiriste Eve-Laure Lacroix Costumes Laure Fonvieille Habilleuses Laure Fonvieille et Marion Régnier Création et régie vidéo Serge Meyer Photographie Caroline Ablain Stagiaire costumes Julie Michel Chargé de production Claire Marcadé Construction décor Maxime Poubanne et Ludovic Losquin


Production : Le groupe vertigo Coproductions : DSN – Dieppe Scène Nationale ; L'Archipel, pôle d'action culturelle – scène de territoire pour le théâtre de Fouesnant-les Glénan ; Les 3T – Théâtres de Châtellerault ; CPPC - Théâtre l’Aire Libre (35) ; La Maison du Théâtre à Brest ; Théâtre du Pays de Morlaix ; Théâtre du Champ au Roy –Guingamp ; Théâtre de Thouars - Scène conventionnée ; Carré magique - Lannion ; CCM Limoges / Centres culturels Municipaux. Aide à la coproduction : Scènes de territoire – Bressuire ; Gallia Théâtre – Scène conventionnée de Saintes ; Théâtre du Cloître – Bellac ; Les Sept Collines - scène conventionnée de Tulle. Soutiens : Quai des rêves – Centre culturel de la ville de Lamballe ; Théâtre de l'Ephémère – Le Mans ; THV Saint-Barthélémy d'Anjou. Avec la participation artistique de l’ENSATT et le Fonds d'Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, DRAC et Région Provence-Alpes-Côtes d'Azur. Avec l'aide de la Ville de Rennes ; Conseil départemental 35 ; Conseil régional de Bretagne ; ADAMI ; La diffusion de ce spectacle a bénéficié du soutien financier de Spectacle Vivant en Bretagne. Le groupe Vertigo est conventionné par le Ministère de la Culture – DRAC Bretagne. L'Arche est agent théâtral du texte représenté. www.arche-editeur.com. Ce texte est lauréat de la Commission nationale d'Aide à la création de textes dramatiques - Artcena.

© photo : C. Ablain

Site de la compagnie

SI VOUS AIMEZ CE SPECTACLE, VOUS AIMEREZ PEUT-ÊTRE :

Dom Juan

AUTOUR DU SPECTACLE

JEUDI 8 SEPTEMBRE

SPECTATEURS TÉMOINS

Tout au long de la saison, DSN reçoit des équipes artistiques qui sont en plein processus de création, et travaillent à l’éclosion de projets qui verront le jour au cours de la saison ou de la prochaine ou d’une plus lointaine encore. Ce sont des moments aussi fragiles qu’intenses pour les équipes qui souvent n’ont pas encore recueilli de regard extérieur. Bienveillance et curiosité sont de mise. [+]

AUTOUR DU SPECTACLE

MARDI 25 AVRIL, BAR DE DSN

SCÈNE OUVERTE

Avant le spectacle, scène ouverte à la classe des ateliers de musiques actuelles du Conservatoire à Rayonnement Départemental Camille Saint-Saëns. [+]


LA GRANDE OURSE

Avant ou après le spectacle, La Grande Ourse (librairie café dieppoise) sera présente dans le hall de DSN et proposera des œuvres en rapport avec le spectacle. [+]

Love and Information est la dernière pièce de Caryl Churchill, grande dame du théâtre anglais actuel. Elle a imaginé une forme théâtrale unique et inédite pour mettre en scène un état des lieux du monde contemporain, à travers le prisme de l’amour et de l’information.

L’idée
Avec un regard acéré, Churchill examine, explore, célèbre et questionne où nous en sommes avec notre société contemporaine. Elle regarde comment l’information construit et défait notre humanité. Nos sentiments, nos pensées, nos désirs, sont négociés dans un monde traversé par toutes sortes d’informations. Nous sommes plongés dans le flux continu d’internet, de la religion, des sciences, des infos, de la publicité, des réseaux sociaux… Quel effet a ce flux sur nos relations ? Quel effet a-t-il sur nos mémoires ?

La forme
La pièce est principalement composée de 50 scènes indépendantes, d’une durée de 15 secondes à 5 minutes. Chaque scène ne présente aucun lien narratif direct avec la précédente : situations, lieux, personnages, atmosphères, tout semble nouveau. Chacune présente un précipité de vie contemporaine inattendu à la résonnance immédiate, dans une écriture fine et ciselée. Les scènes ont pour fil rouge la question de l’information déclinée sous toutes ses formes, de la plus triviale à la plus philosophique. Et sous la surface, les scènes sont réunies et traversées par la question de l’amour, qui joue avec les informations reçues, qui vient perturber, accompagner ou contredire leur réception. La pièce met ainsi en jeu plus d’une centaine de personnages au total, dans une composition théâtrale virtuose qui réunit et condense une vaste étendue de préoccupations actuelles.

Avec une intelligence rare et une puissance narrative réjouissante, Caryl Churchill propose une performance théâtrale radicale et terriblement séduisante, dont nous allons avoir l’honneur et le plaisir de nous saisir à bras le corps.

 

Caryl a toujours eu une longueur d’avance. C’est fascinant d’entendre la manière dont elle décrit une nouvelle pièce. On comprend clairement que ce qu’elle entend par une nouvelle pièce, c’est un type de pièce qui n’a jamais été écrite auparavant à propos d’une chose qui n’a jamais été dite auparavant de la manière dont on devrait le dire. En d’autres termes, elle se présente avec “une nouvelle pièce” seulement si pour elle sa forme et son contenu sont nouveaux dans l’histoire du théâtre. James MacDonald, extrait de “The Royal Court Theatre : Inside Out”

Aujourd’hui âgée de 76 ans, Caryl Churchill est l’une des plus importantes dramaturges britanniques actuelles. Elle a longtemps été associée au Royal Court Théâtre à Londres (également le repaire de Martin Crimp et Sarah Kane), où les premières productions de ses pièces sont souvent présentées. Elle a la particularité d’inventer régulièrement des formes théâtrales nouvelles et de se frotter à des sujets de société sensibles. Son écriture est toujours un mélange de grande puissance narrative et de langage très ciselé. Et c’est ce que nous trouvons formidable chez elle, qu’elle arrive à raconter des histoires et à transmettre des émotions intenses, sans cesser de remettre en question les cadres formels du théâtre.

 

Caryl s’arrange toujours pour prendre le pouls des problèmes moraux, sociaux et politiques de notre société. Elle est, et elle a constamment été au cours de sa carrière, une aventurière des formes du langage théâtral, ainsi elle n’a pas cessé de mettre au défi non seulement le langage au sens littéral dans lequel on nous parle au théâtre, mais aussi la théâtralité, le contexte, et même le paysage dramatique dans lequel elle travaille. En ce sens elle est une des plus formidables innovatrices du théâtre britannique moderne. Stephen Daldry, directeur artistique du Royal Court

 

Il est impossible d’imaginer le paysage théâtral contemporain sans Caryl Churchill, l’auteur de plus de 30 pièces, auxquelles s’ajoutent une poignée d’adaptations et plusieurs pièces radiophoniques. Et quelles pièces ! Top Girls, Cloud Nine, Serious Money, A Number, Far Away, chacune un monument qui fait date dans l’histoire de notre culture théâtrale. Elle a, comme le dramaturge Marius Von Mayenburg l’a pointé, “transformé le langage du théâtre et très peu de dramaturges le font.” Seuls les très grands méritent cet hommage : Shakespeare, Tchekhov, Ibsen, Brecht, Beckett, une liste à laquelle nous pourrions aisément ajouter Churchill. April de Angelis, The Guardian, “Caryl Churchill, changing the langage of theatre”

Origine du projet
J’ai découvert en anglais le texte de Caryl Churchill à la fin 2012, au moment de sa création londonienne. La pièce m’a saisi de joie. Incroyable. Quelqu’un pouvait écrire ça aujourd’hui. Avec ce culot et cette intelligence. La justesse de son regard sur le monde contemporain, le défi théâtral posé par le texte, les perches tendues au metteur en scène, la profondeur du propos, l’humour délicieux, tout m’a séduit.
En même temps que naissait dans les mois suivants mon envie de porter le texte au plateau, je réalisais la difficulté de le monter en raison de l’équipe nombreuse qu’il supposait. Je démarrais la saison d’après un atelier théâtral intensif à l’Université de Rennes 2, avec 14 étudiants. Je leur ai proposé de travailler sur la pièce, c’était la meilleure manière pour moi de me jeter dedans sans plus attendre. J’ai découvert qu’Elisabeth Angel-Perez, traductrice avec qui je venais de travailler sur Mirror Teeth de Nick Gill, avait déjà une traduction de la pièce en chantier. En partant de sa version, repassée entre les mains de Delphine Lemonnier-Texier, professeur/traductrice installée à Rennes et présidente de la compagnie, j’ai fait ma propre adaptation du texte. Et nous avons passé la saison 14/15 à creuser cette matière avec les étudiants. A la fin de cet atelier, le désir était tel de continuer à travailler sur ce texte et d’en faire un projet de mise en scène que je l’ai proposé aux autres membres de la compagnie, et que nous avons décidé de repousser tous les projets futurs pour nous atteler à la production de Love and Information, qu’il devenait urgent pour moi de mettre en scène.
Love and Information est une pièce à la forme inédite, un concept théâtral en soi, au propos vaste et intense, basé sur des situations narratives puissantes et terriblement efficaces, développées avec grande une finesse psychologique.

Le concept de la pièce
La pièce est constituée de 50 courtes scènes indépendantes, portant chacune un titre et réparties en 7 chapitres, auxquelles viennent s’ajouter de courtes interventions dites « aléatoires », dont une série de répliques isolées réunies sous l’intitulé « dépression ». Il est précisé que les lieux et les personnages de chaque scène sont différents. Nous sommes donc en présence de plus de 50 espaces et plus de 120 personnages distincts.
Le fil rouge de toutes les scènes est la question de l’information, amenée et traitée de différentes manières. Du secret de famille aux entités virtuelles, en passant par l’ADN, la censure, la mémoire ou l’info qu’on donne à une bonne amie ou à la police. Et le thème souterrain qui parcourt la pièce est la question de l’amour, du manque d’amour, du trop d’amour, du besoin d’amour, du désir sexuel, qui vient percuter et résonner avec l’information, allant jusqu’à modifier sa perception, révélant notre humanité. Pour chaque scène, Caryl Churchill donne un titre qui met en lumière (parfois avec une certaine malice) la situation, mais laisse volontairement absentes toutes indications de personnage, de lieu, ou même de distribution de la parole.
Elle invite donc le metteur en scène à se saisir des situations qu’elle propose, et à leur inventer un contexte. Le même échange peut ainsi se passer entre deux collègues dans une salle de sport, deux vigiles en haut d’un building, deux ados dans un skate park ou deux amants dans une chambre d’hôtel. C’est à l’équipe qui s’empare du texte d’inventer les contours de la société contemporaine dont elle écrit les échanges.
Elle fixe cependant des règles du jeu très précises, qui permettent de s’appuyer sur la construction dramaturgique savante qu’elle a mise en place.
Ainsi les sept parties doivent impérativement être jouées dans l’ordre pour respecter la progression narrative de l’ensemble, mais le metteur en scène est libre de modifier l’ordre des scènes à l’intérieur de chaque partie. Ensuite les séquences « aléatoires » qu’elle propose de glisser entre les scènes sont facultatives pour certaines, et obligatoires pour d’autres. L’équipe de création se retrouve donc avec à la fois un texte extrêmement ciselé et précis, et une grande liberté d’invention et de création.

Le propos
Le monde que Caryl Churchill dépeint est notre monde occidental contemporain, avec ses angoisses et ses tendresses. C’est pour moi une des grandes forces du texte que d’être en prise directe avec la société qui nous entoure, avec parfois même quelques longueurs d’avance sur des questions de société qui ne vont pas tarder à surgir dans l’espace public. Il est d’ailleurs impressionnant de voir à quel point ce texte, écrit par une femme de plus de 70 ans, est en prise avec son temps et notamment avec sa jeunesse.
Ainsi une scène (qui fait penser très fort au film Her de Spike Jonze - la sortie de la pièce de Churchill étant antérieure à celle du film) montre par exemple quelqu’un défendre mordicus son couple avec une entité virtuelle face à un.e ami.e qui tente de le raisonner, et on a le sentiment troublant qu’il défend la légitimité de son amour avec cet être virtuel comme d’autres défendraient un couple mixte ou homosexuel. Nous voulons avec cette pièce prendre le pouls d’une époque où nous sommes noyés d’informations et face à de nouvelles questions d’identité.
Car ce texte est aussi un scanner des espoirs et mélancolies de générations qui se cherchent, et tentent d’appréhender un nouveau monde dont la course du temps semble – c’est ce qu’on nous dit – toujours s’accélérer.
Mais Caryl Churchill a la délicatesse et l’intelligence de le faire avec un humour ravageur. Elle manie à merveille le sens de l’ironie, avec un air de ne pas y toucher terriblement british, qui vient toujours de pair avec une conscience sociale et politique salutaire.
Et tout au bout de la dernière scène du texte, intitulée “Faits”, apparaît pour moi le fond du propos de la pièce, brillant et délicat, qu’on pourrait résumer ainsi : Nous sommes continuellement abreuvés d’informations, mais la seule qui compte réellement, c’est “Est-ce que tu m’aimes ?”.

Pour se faire une petite idée du texte, voici la scène la plus courte de la pièce :

TERMINAL
Docteur, encore une chose avant que je parte.
Vous pouvez me dire pour combien de temps j’en ai ?
Il n’y a pas de réponse exacte à cette question.
J’apprécierais tout indice qui pourrait me donner une idée.
Eh bien je vous dirais que 10% des gens qui ont la même chose que vous sont encore en vie après 3 ans.
Ca m’aide, merci.

Cette scène est bien révélatrice à la fois de l’humour cinglant et du fond du propos de la pièce, jouant avec le rapport à la réception d’une information et son traitement.

Processus de travail
J’ai l’intention de diviser les répétitions en trois périodes distinctes, entre lesquelles nous continueront à avancer sur les aspects techniques du spectacle. Pour la première partie des répétitions, je vais mettre en place avec les acteurs des dispositifs de propositions et d’improvisations.
Ces dispositifs vont nous permettre de faire des essais de contexte sur chaque scène. Les acteurs proposant parfois un lieu, je leur proposerai un personnage, ou inversement. Un jour ils arriveront avec une proposition précise pour eux-mêmes ou pour d’autres interprètes, une autre fois ce sera moi… Nous varierons les duos (une grande partie des scènes sont écrites pour être jouées à deux, même si certaines impliquent plus d’acteurs) et nous nous amuserons à explorer différentes possibilités de distribution pour chaque scène, de rapports de jeu, de corps différents, de genres, d’âges, de voix etc.
Nous irons jusqu’à créer un système de tirage au sort, qui nous servira parfois à sortir de nos logiques et à découvrir de nouvelles possibilités que nous n’aurions pas envisagées. Pendant cette première partie des répétitions, nous avons l’intention de convier régulièrement le public à des étapes de travail. Ainsi des spectateurs pourront assister, à la fin d’une semaine de résidence, à la présentation d’une série de propositions dont peut-être une ou deux seulement seront conservées dans le montage final.
Nous allons bien sûr rebondir sur ces propositions, penser des échos entre les différentes parties du texte, définir et redéfinir des règles du jeu, tisser des liens avec le monde qui nous entoure, nous servir des particularités des acteurs qui constituent l’équipe, inventer en fait notre propre système autonome en réponse au système proposé par Caryl Churchill dans la pièce.

Une deuxième partie des répétitions sera consacrée aux choix. Nous allons trier les propositions, en creuser et en revoir certaines, en déplacer, abandonner des choses séduisantes mais encombrantes, faire de nouvelles découvertes, commencer à penser plus précisément la dramaturgie du spectacle dans ses détails, résoudre des problèmes techniques, dessiner la forme de la pièce telle que nous la rêverons à ce moment-là, forts de toutes les tentatives précédentes. A l’issue de cette deuxième partie de répétitions, nous nous retrouverons avec en main un montage précis fait de choix dramaturgiques et rythmiques, de glissements de sens et d’équilibre de parcours d’acteurs. Les contextes de l’ensemble des scènes de la pièce seront alors définis.

Enfin, la troisième partie des répétitions sera consacrée à tout affiner. A creuser les rapports de jeu, à pousser au bout les différents choix esthétiques, à resserrer les rythmes, à travailler les rôles et le texte plus “verticalement” pour tenter d’en toucher le fond, à exciter les émotions, à rendre les changements de plateau fluides et même virtuoses (la pièce invite aussi à ce rapport à la performance théâtrale), à travailler plus concrètement le rapport au public, à filer le tout, et à prendre le temps de nous approprier l’objet que nous aurons inventé ensemble.

Outils de répétitions
Au cours des spectacles précédents, j’ai développé avec mon équipe d’acteurs un principe d’improvisations préparées, “ non-psychologiques ”, qui nous ont souvent servi à nourrir les rôles. Il s’agit de petites formes théâtrales créées au cours des répétitions pour épaissir les rapports entre les acteurs, le langage et les situations. A partir d’impulsions et de consignes très précises, les acteurs vont inventer une forme en lien avec leur parcours, leurs rôles dans la pièce. L’intention n’est pas de créer une profondeur psychologique artificielle à des personnages dont on sait qu’ils n’existent pas en dehors des acteurs qui les jouent, mais de tisser des liens entre le rôle et l’acteur, de faire jouer des phrases ou des attitudes de ces personnages avec des choses que nous reconnaissons ailleurs dans la vie ou dans d’autres actes artistiques, et de créer un imaginaire collectif qui relie différents éléments de la pièce. Cette succession d’actes théâtraux crée pour nous une sorte de base de références secrètes, comme un réseau de pensées, d’intentions, de mots, de relations, qui nourrit la pièce. Sans hiérarchie de légitimité intellectuelle. Le travail avec les acteurs est nourri de liens avec Lady Gaga aussi bien qu’avec des penseurs anarchistes, avec la boulangerie du bas de la rue aussi bien qu’avec une oeuvre d’art contemporain. Nous créons ainsi un background commun que chacun convoque régulièrement, y compris pendant les représentations.

Cette pièce en particulier, avec son foisonnement de situations et de rapports humains différents, va voir se créer une base commune de références particulièrement vaste, dans laquelle nous irons puiser régulièrement pour qu’au-delà des connexions naturelles et intuitives proposées par l’auteur, elle soit également parcourue et même tissée de liens dont nous seuls aurons le secret. (Par exemple telle scène nous fait penser à une histoire lue ailleurs, qui elle même s’inspire d’un fait divers, dont quelqu'un reprend un motif dans une improvisation sur une autre scène, moment qui nous amène à plaisanter sur la phobie imaginaire de l’acteur qui la joue, ce qui nous fait penser à la phrase d’un auteur anglais, dont le physique inspire un acteur pour composer une troisième scène, etc) Ces liens souterrains, bien que non explicites, seront perceptibles par le public de manière instinctive, en ce qu’ils feront que chaque moment du spectacle sera chargé non seulement de sa vie présente, mais aussi d’une mémoire collective toujours active.

Le présent et la fiction
Dans mon travail de mise en scène, je cherche toujours à faire jouer un double rapport avec le public : le rapport d’interaction de la fiction, et celui du présent de la représentation. Un acte scénique peut à la fois faire sens dans l’histoire, et raconter quelque chose de la cérémonie théâtrale, du lien direct entre l’acteur et le spectateur. Chacun des deux sens nourrissant l’autre. Pour prendre un exemple très marqué, dans une mise en scène précédente, un personnage tire un coup de feu en l’air, et un projecteur tombe soudain sur le plateau, comme décroché par ce coup de feu. Le trouble de voir un projecteur s’éclater au sol dans la réalité vient nourrir la crainte qu’inspire le personnage dans la fiction, et inversement. Le spectateur peut alors profiter de cette double sensation.

Ce rapport au présent, que j’essaie de développer, me séduit aussi parce qu’il est “ exclusivement théâtral ”, la même action n’aurait pas de force au cinéma par exemple, où une balle tirée en l’air n’atterrit nulle part puisqu’elle sort du cadre.
Dans Love and Information, ce rapport au présent théâtral nous permettra de faire que cette pièce ne soit pas seulement une expérience vécue de l’extérieur, un bel objet théâtral qu’on peut prendre plaisir à regarder, mais aussi un acte artistique en direct qui tient compte de son environnement, et qui se sert du cadre dans lequel il se déroule pour raconter aussi le moment de sa représentation, comme faisant partie de ces moments de tension entre amour et information dont parle la pièce. Nous serons nous aussi en train de poser un acte qui contient des informations… et de l’amour.

Dispositif scénique
La pièce pose des défis scéniques particulièrement excitants à relever. Elle invite à créer une cinquantaine d’espaces différents, à penser plus de 120 costumes, à trouver une façon de passer à toute vitesse d’un univers à un autre… J’ai commencé à explorer avec les étudiants un dispositif scénographique que je voudrais reprendre pour cette création. Il s’agit d’une “boîte en cyclo”, constituée de 3 murs, disposés en forme d’agrafe ouverte.
Les trois murs seront donc en matière cyclorama de couleur gris sombre, ce qui rend, lorsqu’on diffuse des images ou de la lumière par l’arrière, un aplat de couleurs et une définition d’image particulièrement intenses et bluffantes. Sur l’ensemble du mur du fond sera rétroprojetée une image vidéo, et sur les murs latéraux de la lumière.
Nous aurons alors une boîte entièrement lumineuse, pouvant se transformer totalement pour une métamorphose plastique radicale. L’idée de la vidéo, que vient compléter la lumière, est de créer chaque fois un univers plastique complet, qui puisse nous saisir immédiatement et rendre à la fois un contexte fort et une sensation visuelle très “léchée.”

Le principe étant de créer pour chaque scène un univers visuel non naturaliste (pas d’effet “toile peinte”), mais qui soit cependant figuratif et/ou plastiquement très tranché. Et pour chaque scène, cette boîte s’ouvre pour laisser entrer des éléments de décor roulants ou facilement transportables, qui posent tout de suite la situation, mais peuvent apparaître et disparaître très rapidement.
Pour prendre des exemples, dans le projet avec les étudiants nous avions une scène qui se situait sur un pont, avec un homme prêt à se jeter dans le vide. Une longue rambarde arrivait sur scène. L’homme, face public en avant-scène, tenait la rambarde par l’arrière. Une femme, restée en retrait, posait les mains sur la rambarde pour lui parler. La boîte entière se couvrait alors de matière goudronnée de couleur bleu nuit. En quelques secondes l’univers était posé. Pour une autre scène qui mettait en jeu un couple de trentenaires débattant en se brossant les dents avant de partir en soirée, un meuble-lavabo arrivait et les murs étaient couverts de milliers de petits carreaux de salle de bain (pas besoin de représenter de détails du décor).

Pour une scène dans un parc, la boîte montrait les nervures d’une feuille en gros plan. Et ainsi de suite. En cherchant toujours la stylisation qui peut frapper visuellement sans basculer dans le pur réalisme. Parfois le mur vidéo jouait comme vidéo à l’intérieur de la scène (une barre informatique de loading indiquant l’arrivée imminente de la femme virtuelle dont un homme est amoureux, ou une scène de « Certains l’aiment chaud » qui passe sur l’écran avec un couple d’hommes qu’on aperçoit de dos sur un canapé en train de regarder le film, ou encore un écran vert vif pour un shooting photo à l’occasion d’un échange entre un photographe et sa modèle, etc). Et parfois un simple aplat ou assemblage de couleurs très franches et matiérées qui venaient donner une ambiance particulière.
La plupart du temps ces univers seront très colorés ou en tout cas très francs. Pour plusieurs d’entre eux, je vais déterminer une ou deux couleurs, à la manière du cinéaste Wes Anderson (dont le dernier film, Grand Budapest Hotel, est construit par exemple autour des couleurs rose et gris). Ainsi une scène pourra se jouer entièrement dans un univers rose pâle et vert sombre, une autre dans un univers bleu nuit et orange profond…
Je vais aussi m’inspirer pour certains univers de travaux visuels de différents photographes contemporains, dont celui de Martin Parr, qui résonne à plusieurs endroits avec cette écriture, ou celui de Peter Funch, l’auteur des photos qui illustrent ce dossier.

La qualité technique et la fluidité du dispositif scénique sont essentielles à la réalisation de cette pièce. Afin de rester maîtres du rythme, de pouvoir balader l’esprit du public, et de garder la vivacité d’esprit du texte, nous devons montrer une certaine virtuosité technique. Ca fait aussi partie du plaisir théâtral total auquel invite la pièce, dont la forme en elle-même peut être très excitante pour le spectateur.
Et en même temps, vu la courte durée des scènes, qui ont tendance à aller droit au but et à nous précipiter au coeur de situations intenses, chaque univers plastique se doit d’être assez net et tranché pour permettre de plonger immédiatement dans une nouvelle atmosphère.

A la fin de la pièce, j’ai dans l’idée de pouvoir faire tomber la boîte, et de révéler l’envers du dispositif. En effet sur scène, très concrètement, il y aura une boîte vide très épurée et léchée, et derrière, le plateau sera entièrement rempli de centaines de costumes, d’accessoires et de petits éléments de décor. (Dans la version avec les étudiants, il y avait une tente 2 secondes, une loge de cinéma, une barque, un comptoir de pub irlandais…) Il serait assez plaisant et parlant de terminer en révélant les rouages de l’organisation de notre système. D’apprécier la beauté d’un plateau de théâtre entièrement organisé pour servir la boîte où tout s’est déroulé.

Etat d’esprit
Love and Information est une pièce démesurée. Un défi théâtral. C’est quelque chose de très excitant et joyeux, pour nous comme pour ses producteurs et ses spectateurs à venir, et c’est ainsi que j’ai envie de la présenter au public.
Sa forme inédite et son contenu contemporain en font une pièce en prise avec son temps, qui permet de créer de nouvelles connexions entre l’art du théâtre, où les choses sont préparées et vivantes, et une société ou l’instantané et le virtuel prennent de plus en plus de place.
Nous avons la sensation avec cette pièce de mettre notre art au service d’une forme nouvelle, et j’ai hâte de mettre en scène cette rencontre.

Le groupe vertigo est une compagnie théâtrale basée à Rennes, créée en 2008 par Guillaume Doucet et Faye Atanassova Gatteau, et aujourd’hui dirigée par Guillaume Doucet et Bérangère Notta. Claire Marcadé, administratrice de production, Mélissa Lebeau et Camille Siegel assistantes en administration, production, et communication, en assurent également le fonctionnement. La composition en est mouvante, avec des fidélités. Elle fonctionne au projet, réunissant une équipe pour la création d’un spectacle et la mise en place d’actions de transmission autour de ce spectacle. Artistiquement, elle s’intéresse principalement aux écritures contemporaines, en les confrontant à une théâtralité qui interroge le rapport au public et au présent de la performance. Les actes de transmission, qui sont essentiels et construisent la place de la compagnie dans la société, s’appuient sur une conviction : celle qu’une action pédagogique est un acte profondément politique. La compagnie reçoit le soutien de la Ville de Rennes, du Conseil Général 35, et de la Région Bretagne Le groupe vertigo est conventionné depuis janvier 2015 par le Ministère de la Culture - DRAC Bretagne.