Oblomov

D'APRÈS IVAN GONTCHAROV
CONCEPTION ET MISE EN SCÈNE DORIAN ROSSEL
COMPAGNIE STT

Anti-héros par excellence, Oblomov est une figure mythique de la littérature russe. Aristocrate oisif, il s’illustre dans l’art de la léthargie rêveuse, cultive l’inertie et prône la paresse. Mais derrière Dorian Rossel s’associe à la O’Brother Company pour mettre en scène Oblomov, éternel looser que l’on se plaît à aimer…cette lâcheté se cache un certain courage : rejeter le monde tel qu’il est et souhaiter à tout prix échapper aux luttes de pouvoir. En refusant de s’inscrire dans cette société qui l’entoure, Oblomov questionne notre propre engagement dans la « vraie vie ». Plus que l’homme qui dort, c’est surtout la figure de l’homme qui fuit que Dorian Rossel met en scène grâce à un dispositif ingénieux fait de jeux de miroirs. Accompagnés par une musique folk jouée en live, les sept comédiens, à la fois personnages et narrateurs, nous plongent avec beaucoup d’humour et d’ironie dans le destin de ce personnage isolé. Seul Stolz, son fidèle et très dynamique ami d’enfance, tentera de le sortir de sa situation en lui faisant rencontrer Olga, femme lumineuse et brillante qui cherchera à le réveiller par la passion amoureuse…

« (…) leur jeu est rapide, énergique et direct. Pas d’ennui, ici, sinon celui du héros léthargique et mythique qui a donné un nouveau mot à la littérature russe : l’oblomovisme ». LA CROIX



VIDÉO

 

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Fabien Joubert et la O’Brother Company rencontrent le travail de la Cie STT lorsque celle-ci présente en tournée son spectacle Quartier lointain. Très vite une rencontre s’organise, des idées fusent, des sessions de recherches se mettent en place et le travail s’enclenche :

Oblomov d’après Ivan Gontcharov
Le roman

Dans ce roman Russe de 1859, le héros est un jeune aristocrate qui semble incapable de prendre des décisions ou d’effectuer la moindre action importante. Il ne quitte que rarement sa chambre ou son lit. Oblomov, aristocrate oisif, est dans la culture russe le prototype de l’homme paresseux et médiocre, qui a renoncé à ses ambitions pour une léthargie rêveuse. C’est un mythe littéraire russe, aussi présent que Faust ou Don Juan chez nous.
« L’oblomovisme, c’est un mélange de nonchalance, de paresse, de procrastination, de fatalisme, une sorte d’aquoibonisme, qui rend l’homme incapable d’entreprendre quoi que ce soit. Oblomov vit à St Petersbourg. C’est un barine, un petit propriétaire terrien, qui mène une existence végétative dont rien ni personne ne parviendra à le tirer, ni les exhortations de ses amis, ni la menace de la ruine, ni l’amour. Ce pourrait être le roman d’un échec – et celui d’une société russe sclérosée – si Oblomov, outre un homme qui dort, était aussi un homme sans qualités. Mais son aboulie dissimule autre chose : une recherche obstinée du bonheur sans tapage, une fidélité à un rêve d’enfance fait de douceur et de nonchalance, un refus de marcher avec son temps. Son coeur n’a pas émis une seule fausse note, il ne s’est pas couvert de boue. Aucun mensonge ne le séduira, rien ne lui fera suivre une fausse voie. Même si tout un océan d’ordures ondoyait autour de lui, même si le monde entier se gorgeait de poison et allait à l’envers, jamais Oblomov ne se prosternerait devant l’idole du mensonge. Son âme demeurera toujours aussi pure, limpide et honnête… »
tiré de Philippe Didion www.oeuvresouvertes.net

Après la bande dessinée (Quartier lointain), le cinéma (Soupçons), le récit de voyage (L’Usage du monde), une pièce du répertoire pour les jeunes (La Tempête), nous avons opté pour l’adaptation d’un roman classique pour la scène.
Publié en 1859, Oblomov décrit l’histoire d’un aristocrate, héritier d’un domaine foncier, qui se trouve dans l’impossibilité d’agir et qui fuit dans le rêve d’une enfance dorée, reste d’une culture rurale en passe d’être doublée par les avancées du modernisme. Alors qu’Oblomov incarne cette vieille bourgeoisie terrienne, marquée par son immobilisme, son ami d’enfance Stolz est la figure contraire du dynamisme. Stolz, choqué par l’inertie de son ami, tente de le sortir de sa situation en lui faisant rencontrer une femme lumineuse et brillante qui cherchera à le réveiller par la passion amoureuse. Oblomov goûte pour un temps à cette passion, mais il s’en détourne finalement face à la peur de l’échec et des responsabilités. Sa force de résistance le mène vers une femme de condition modeste, qui lui apporte le réconfort et la chaleur vers lesquels Oblomov a en fait dirigé toute son existence.
Selon nous, Oblomov, plus qu’un homme qui dort est un homme qui fuit. Son inaction est le témoin de ses retranchements et de ses fuites. Derrière le sommeil, Oblomov incarne la peur de s’engager dans le monde. Il est double : lâche dans son inactivité, mais courageux dans ses choix de refus.
Oblomov relèverait donc plutôt d’ un « mal de vivre », un « spleen » comme le souligne son ami Stolz. Nous nous intéressons ainsi au moteur qui se cache derrière la paresse, celui de la peur face à la condition d’homme et le refus de l’activisme comme « pansement ». Oblomov tend vers une vie de plénitude qui passe par l’absence de troubles, de passions et de soucis ; par le calme plat rappelant celui de son enfance. Pourtant, la maladie le gagne et, lorsqu’il a atteint cet état, il s’éteint.
Ainsi, rien n’est résolu dans ce roman, aucune morale n’en émane. Certes, Oblomov est une « protestation contre la vie », selon les termes de l’auteur, ne vivant que sur ses rentes ou aux crochets d’autrui ; et à la fois, par sa radicalité, il questionne le sens de notre action et plaide pour des valeurs d’humanisme.
Gontcharov ne résoud pas ces ambiguïtés, il ne penche ni vers le bien ni vers le mal de son personnage qui est fort de tous ses paradoxes et fonctionne face à nous comme un miroir.
Oblomov attire par ses choix (qui n’a pas rêvé un jour de faire comme lui) et énerve (qui n’est pas « choqué » par ce déploiement de mauvaise foi ?)
L’adaptation du texte se centre donc d’abord sur le parcours intérieur du personnage, en donnant également une place importante aux autres personnages, qui jouent comme des miroirs vis-à-vis du protagoniste : Stolz, le pragmatique, révèle l’inertie d’Oblomov, mais aussi sa bonté et son humanité ; Olga, l’amante, montre la capacité à aimer d’Oblomov mais révèle aussi sa peur face à la passion et à la responsabilité ; Agafia, la seconde femme et double de la mère, révèle quant à elle l’absolu d’Oblomov, c’est-à-dire retrouver la vie protégée de l’enfance ; enfin son domestique, Zakhar, est son double, mais révèle la domination sociale qu’incarne Oblomov et les rapports hiérarchiques de la société traditionnelle.

Pourquoi donc monter ce texte ?
Pour la résonance actuelle avec un nombre important de personnes qui ne trouvent pas leur place, que cette situation soit choisie ou subie (qui ne connaît pas un Oblomov autour de lui ?)
Parce qu’il questionne le sens de notre action et la course au productivisme caractéristique de notre époque.
Parce qu’il met en scène un personnage paradoxal : il fascine et énerve, il est probe et de mauvaise foi, il est révolté mais n’agit pas ; et en cela révèle nos propres ambiguïtés. Parce qu’il est passionnant de passer de la densité d’une oeuvre romanesque à la parole théâtrale.
Parce qu’il y a de l’humour, une ironie complice du narrateur face à son personnage : c’est un looser que l’on se plaît à aimer... CARINE CORAJOUD

CARINE CORAJOUD, DRAMATURGE ET DORIAN ROSSEL, METTEUR EN SCÈNE

« Nous aimons les univers intériorisés, qui permettent à l'être humain de questionner sa place au monde »


Propos recueillis par Maxime Pégatoquet

Comment avez-vous découvert ce texte somme toute méconnu d'Ivan Gontcharov ?
Nous le connaissons depuis assez longtemps. En fait, depuis que nous en avions vu une adaptation de Dominique Pitoiset il y a près de 20 ans. C'était au Théâtre de Vidy, au tout début de notre parcours. C'est un texte qui nous avait profondément marqués à l'époque et qui s'inscrit assez justement dans l'histoire de la troupe avec cette thématique de l'homme qui se cherche et interroge sa place dans le monde. Comme avec Quartier lointain, L'Usage du monde ou Cosmos, on aime beaucoup ces univers intériorisés, car ils permettent de questionner notre propre relation au monde actuel. Par ailleurs, c'est aussi un texte qui nous avait émerveillés en tant que spectateurs.

Qu'est-ce qui vous a particulièrement intéressés dans le texte d'Oblomov ?
Même s'il s'agit d'un roman du XIXe siècle, on y trouve une dimension plus sociale que dans d'autres textes. On y a senti une résonance très forte avec notre époque de productivisme. Oblomov est un antihéros et, en tant que tel, il refuse les normes sociales, il refuse de s'inscrire dans l'espace public. C'est un texte qui fonctionne sur des contradictions permanentes. Il se cherche, quasiment comme un adolescent. Mais, en creux, il permet au spectateur de se projeter par rapport à sa propre situation, qu'elle soit amoureuse, professionnelle, sociale... Qu'est-ce qui fait qu'on agit ou pas, qu'on résiste dans une situation et pas dans une autre.
Nos spectacles sont comme des billes suspendues dans l'espace-temps. Si on arrête celui-ci à un instant donné, que se passe-t-il ? Le personnage d'Oblomov porte cet état en lui, avec ce désir de s'arrêter envers et contre toute logique. Il existe peu de figures comme lui qui tentent de se soustraire au diktat du succès, aux nombreux carcans qui nous pendent au-dessus de la tête.

Tolstoï a parlé là d'une oeuvre capitale...
A l'époque, c'est un livre qui a profondément marqué par sa singularité, par l'audace de son personnage. Mais, de notre point de vue, plus pour la virtuosité de son protagoniste que pour ses prouesses littéraires. Dans son domaine, Oblomov est un précurseur de notre siècle et des personnages centraux, chantres de « l'anti action », qu'on peut trouver chez Joyce, Musil, Beckett ou Houellebecq.

L'homme et son rapport au monde. Est-ce là un fil rouge dans le choix de vos spectacles, dans votre ligne créative ?
Disons que cela se construit petit à petit, mais il n'y a pas de stratégies élaborées à l'avance. En revanche, il est vrai que nous aimons suggérer des envies, éveiller les spectateurs à des questionnements existentiels, de la même manière que ces différents textes ont pu susciter de la curiosité et des interrogations chez nous. Quand on s'émerveille de certains « objets » littéraires, on cherche à les transmettre afin de toucher le spectateur dans des questions de vie globale.

L'oblomovisme d'hier (une paresse confinant à la léthargie) est-il le j'm'enfoutisme d'aujourd'hui ?
Les termes actuels véhiculent souvent des jugements assez négatifs sur des comportements qu'on pourrait dire de désaffiliation. C'est le pari que nous faisons avec ce personnage, en cherchant à valoriser cette part de refoulement qu'on a tous en nous, mais sans chercher à "contemporanéiser" le propos.

Après la bande dessinée, le récit de voyage ou le documentaire, vous avez choisi le territoire de la littérature russe. Comment s'opèrent vos choix de transposition sur scène ? Vous aimez brouiller les pistes ?
Les univers sont différents, mais les problématiques restent souvent les mêmes. Il est vrai que nous n'avions jamais adapté de roman jusqu'à maintenant. Nous aimons bien être titillés, nous essayer à de nouveaux genres. Cela interroge notre pratique du théâtre à chaque fois. Comme ici, par exemple, en nous demandant comment traiter cinquante pages de texte en deux scènes. Il y a une recherche de narration permanente et chaque spectacle est une pierre supplémentaire à notre édifice.

Vous abordez cette pièce en duo avec la O'Brother Company. A Vidy, vous venez de monter Staying Alive avec le Teatro Due Punti. Pour quelles raisons ?
C'est une envie d'ouverture, de travailler avec l'autre. De confronter des points de vue.

L’HUMANITÉ / GERALD ROSSI / 24/07/2014
De gros édredons bien doux, jetés ça et là, se reflètent sur une paroi qui occupe tout le fond de scène, comme un écran de cinéma panoramique et translucide. Autour de cet ingénieux dispositif qui semble retenir le temps, Dorian Rossel a mis en scène Oblomov, d’Ivan Gontcharov,, publié en 1859. Avec, dans les rôles par moment dédoublés, comme un chant sur plusieurs tons, Rodolphe Dekowski, Xavier Fernandez-Cavada, Elsa Grzeszczak, Jean-Michel Guerin, Fabien Joubert, Delphine Lanza, Paulette Wright. Jusqu’à son dernier souffle, Oblomov va hésiter à s’engager dans la vie de ses semblables, dans le mouvement, et finalement, après quelques faux départs, c’est à la campagne, près d’une femme qui l’aime, de leur fils, que les jours s’écouleront. Sans gommer la peur de partager la vie toujours plus rapide, toujours plus moderne. De la belle ouvrage, vraiment.

LA CROIX / DIDIER MÉREUZE / 18/07/2014
Ils sont sept comédiens et comédiennes. Réunis en collectif au sein de la O’Brother Company, ils content la malheureuse histoire d’Oblomov, l’homme sans désir et sans action, surgi de l’imagination du romancier Ivan Gontcharov, en 1859. Tout à la fois personnages et narrateurs, ils se partagent le texte en choral. Dans un décor usant habilement des effets de miroir, leur jeu est rapide, énergique et direct. Pas d’ennui, ici, sinon celui du héros léthargique et mythique qui a donné un nouveau mot à la littérature russe : l’oblomovisme.

LA PROVENCE / ALAIN PÉCOULT / 15/07/2014
Dormir, rester à l’abri du bruit et de la fureur du monde au fond de son lit, c’est la ligne de conduite d’Oblomov, jeune aristocrate russe du XIXe siècle. Ou du XXIe ? Car cette façon systématique de pratiquer la politique de l’autruche nous est, finalement, assez familière, non ? Oblomov sera momentanément tiré de cette douce torpeur par son ami qui lui présentera la jeune fille qui enflammera son coeur. Avant que ne le reprenne son souci de s’éviter toute source de désagrément. Un lâche ? Peut-être. Mais faut-il absolument être un héros ? Il est troublant, Oblomov, et son valet se damnerait pour lui. Cette adaptation d’un roman d’Ivan Gontcharov à la scène a beaucoup de légèreté et de la profondeur. C’est une tragédie traitée sur le ton de la comédie. Tout concourt au succès de cette pièce, les comédiens, excellents, les lumières, le décor, la musique (« live »). La O’Brother company fait un très beau travail alliant, comme il se doit, le fond et la forme. On s’y presse.